Perspectives & Prospectives: Communautarisme dans les classes ou questionnement philosophique ?

                                                                                                                                                                     Depuis 1959, en Belgique, le communautarisme

                                                                                                                                                        philosophique et religieux a inciter les élèves à penser cloisonnés

Perspectives & Prospectives

A défaut de connaître les bienfaits d’un apprentissage intégré et cohérent, grâce à la majorité PS-CDH (Parti Socialiste-Centre Démocrate Humaniste), de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les élèves vous bientôt pouvoir circuler d’une classe à une autre. Ils vont ainsi pouvoir comparer les offres de service des clochés chrétiens, de l’appel musulman, de la Loi juive, des certitudes de l’athéisme ou du vide sidéral du cours de rien.

 

Avec tout le respect que je dois à la représentation parlementaire francophone belge, je me permets de lui dire que le prisme des économies espérées, réalisées ainsi sur le dos de l’éducation, pour accoucher d’un apprentissage hasardeux et non structuré des systèmes religieux et philosophiques, ne semble pas le bon biais. Il s’agit là d’une fausse bonne idée.  

 

L’objectif de l’instauration d’un cours unique et ouvert à toutes les appartenances identitaires a toujours été souhaitable. En réalité, il a toujours existé, mais jamais, on ne lui a permis de faire reconnaître sa légitimité en la matière. C’était le cours de morale laïque. Pour le cours unique, qui ne le sera pas en fait, nous verrons pourquoi, encore faudrait-il que les enseignants concernés, particulièrement les professeurs de religions, fassent la preuve de leur capacité et compétence à faire vivre un vrai pluralisme de la pensée.  

 

La cohabitation des cours de religions et de philosophie morale dans l’enseignement officiel n’est pas idéale. Beaucoup s’accordent à reconnaître les limites de ce système vertical. N’encourage-t-il pas les jeunes à s’inscrire dans une culture de piliers communautaires, voire communautaristes, préjudiciable aux valeurs d’une conception globale, citoyenne, non réductionniste, de l’Homme ? Question légitime. C’est comme si, à l’intérieur même de l’enseignement officiel, on avait reproduit le clivage entre école publique et école dite libre.

 

Dans le Pacte scolaire belge,  négocié en 1958 et ratifié en 1959,  pour l’enseignement officiel, il aurait fallu avoir le courage et disposer du rapport de force suffisant pour créer un cours pluraliste, qui ambitionnât une éducation humaniste, un cours où l’on étudiât l’histoire et l’actualité des systèmes de représentations spirituelles et matérialistes.

 

 Certes, on créa un cours de morale, mais on s’empressa, sous la pression du lobby romain et de ses alliés, de lui adjoindre ses petits frères catholique, protestant, orthodoxe, juif et, plus tard, musulman. C’est ainsi que le cours de morale fut, dès l’origine, renvoyé au statut de chapelle, réduit à sa dimension athée, aux côtés des officines religieuses. Quelle erreur !

 

Non seulement le courant religieux, toutes sensibilités confondues, se voyait reconnaître et financer ses enseignements religieux, dits libres, en réseau autonome et subsidié par la puissance publique, mais encore, il pouvait désormais accéder au Graal : investir la citadelle de l’enseignement officiel et ainsi affaiblir, dans la société belge, ce qui aurait dû lui tenir de colonne vertébrale, la libre pensée.

 

Pire, en 2002, le mouvement laïque lui-même se tira une rafale de kalachnikov dans le pied, en livrant à la concurrence la raison pour le discréditer et donc l’affaiblir. Le Centre d’Action Laïque (CAL) se rangea derrière l’imprudente revendication d’un financement public pour ses activités et conseillers laïques, à hauteur de celui reçu par les « Eglises », pour leurs bonnes œuvres, prêtres, évêques, pasteurs, rabbins et imams. Le résultat de cette tractation de boutiquiers fut de consolider l’appartenance du cours de morale à la sphère partisane, aux outils pédagogiques engagés derrière des valeurs non neutres. Quelle faute !

 

       Et nous voilà , en 2016, avec une ministre de l’éducation, Madame Joëlle Milquet,, ex-présidente du Parti Social Chrétien (PSC), devenu Centre Démocrate Humaniste (CDH), avec l’appui de socialistes de moins en moins laïques, de plus en plus communautaristes, à la veille d’un changement de paradigme biaisé.

 

       En effet, dans la foulée de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015, les cours de morale et de religions ne sont plus obligatoires et donc facultatifs. Ce qui a entraîné la création improvisée, par le pouvoir organisateur (PO), « d’un cours de rien », rebaptisé, dans la précipitation, « Encadrement Pédagogique Alternatif » (EPA). Celui-ci entend permettre aux parents et adolescents de pouvoir disposer d’une alternative aux cours dits philosophiques, morale et religions. L’organisation pratique de cet EPA a été laissée à l’appréciation des directions d’écoles. Sur le terrain, cela n’a rien donné, si ce n’est une cacophonie magistrale, les uns l’organisant, les autres pas, avec quelques moyens ou aucun.

 

       Le 21 octobre 2015, la majorité de la Fédération Wallonie-Bruxelles, PS-CDH, votait le projet de décret instaurant progressivement un nouveau cours commun à tous les élèves, uniquement de l’enseignement officiel, notons-le : un cours dit « de citoyenneté, d’histoire du fait religieux et de la philosophie », du primaire au secondaire supérieur. 

 

       L’idée vient de loin. En1991, l’ancien ministre de l’éducation, Yvan Ylieff (PS), avait installé une commission présidée par le professeur de philosophie de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), Jacques Sojcher, qui était chargée « d’étudier la possibilité d’introduire un cours de philosophie dans les classes supérieures ». En 2000, le ministre-président de la Communauté française de l’époque, Hervé Hasquin (MR), proposait d’introduire « un cours de philosophie et d’étude comparée des religions ». Le député libéral (MR), Richard Miller, alors président du parlement francophone, faisait inscrire cette proposition à l’agenda de la commission de l’éducation. En 2004, le même Richard Miller déposait, au parlement Wallonie-Bruxelles, une proposition de décret introduisant « un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions », pour le 3ème degré de l’enseignement secondaire.

 

       Le nouveau cours de citoyenneté entrera en vigueur le 1er septembre 2016, dans l’enseignement primaire, et le 1er septembre 2017, dans l’enseignement secondaire, toutes classes incluses. Très bien. Le hic, car il y en a un, c’est que cette idée ambitieuse sur le papier n’aura pas les moyens de s’épanouir et d’être véritablement efficiente.

 

       Pourquoi ? Elle ne s’est vue attribuée qu’une seule période /semaine, 50 minutes en comptant large, insuffisante pour ambitionner autre chose qu’une animation socio-culturelle. De plus, subsisteront à ses côtés, une période/semaine de cours partisans, désormais de morale et, depuis toujours, de religions – objectif déclaré des milieux cléricaux, forts satisfaits, ma foi, de ce cadeau – ainsi que ce fameux cours de rien ou EPA. Et qui donnera les cours de citoyenneté et d’EPA ? Les professeurs des cours partisans … Admirez la cohérence du système. Ce nouveau dispositif est évidemment bancal, car il va inévitablement conduire à transformer le paysage pédagogique en bouillie didactique et philosophique intégrale.

 

De plus, cette (dés)organisation feint d’ignorer, dans son esprit comme dans son application, qu’il existait déjà un lieu approprié pour l’apprentissage, la connaissance et la libre critique des modes de pensée universels et singuliers : c’était le cours de morale.

 

Contrairement à une certaine tradition laïque belge, qui conçoit sa mission comme une bataille rangée entre ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, le cours de morale n’était pas, n’a jamais été le dernier rempart des soldats de l’athéisme. Le libre examen n’a jamais constitué une philosophie de l’exclusion ou une guerre de tranchée, contrairement à ce que les obédiences religieuses ont toujours affirmé, et, c’est vrai, fort malheureusement, contrairement à ce qu’un certain courant laîcard a voulu.

 

Ce clanisme positiviste ringard, indigne de l’école moderne, n’a plus cours depuis longtemps dans la plupart des classes de morale. Certains ne s’en sont jamais aperçus. Il est en effet regrettable de constater la pensée archaïque d’hommes et de femmes qui ont fait de leur engagement laïque une guérilla obsessionnelle et permanente aux croyances. A l’opposé de cette conception partiale, partielle et sommaire, le cours de philosophie morale était devenu, bon gré mal gré, un espace privilégié d’une approche ouverte, critique et pluraliste des croyances et des engagements, quels qu’ils fussent.

 

Dans l’école, il était l’unique lieu où pouvaient se rencontrer librement les différentes interprétations éthiques, sociales, économiques et politiques du monde ainsi que les différentes représentations spirituelles.  Pourquoi l’avoir discrédité dans un premier temps,  et, dans un second temps, achevé ? A qui profite le crime ?

 

La laïcité, parce qu’elle intègre dans ses principes la séparation des Eglises et de l’Etat, et donc la préservation dans la sphère privée de la croyance ou non, ainsi que le devoir de respect d’autrui et le droit de s’affirmer dans sa singularité et son identité, représente une chance pour les sociétés qui assument la richesse, mais aussi les défis du pluriculturalisme.  

 

En Europe et dans le monde,  le vivre ensemble ne va pas sans de redoutables problèmes. Le terrorisme islamiste, les attentats terroristes qui s’en suivent ainsi que la montée des nationalismes et des égoïsmes le démontrent. L’hypothèse d’une confrontation des civilisations, posée par Samuel Huntington, que certains redoutent et d’autres recherchent – n’y sommes-nous pas déjà ? – nous impose-t-elle pas, dans nos Etats démocratiques, l’obligation de nous mettre librement, sans pression, dans le regard de l’Autre ? Le cours de philosophie morale était une école du regard. Quel dommage de l’avoir sabordé !   

 

Maintenir en parallèle trois cours, sans avoir le courage ou la volonté d’aller jusqu’au bout de la logique ; à savoir, soit laisser tel quel le cours de morale et lui voir conférer un statut transversal pour tous, soit imposer un cours de citoyenneté universel, mais en supprimant les cours partisans, voilà qui aurait été souhaitable et intelligent de faire.

 

Au lieu de cela, comme toujours en Belgique, les choses sont faites à moitié. Cela entraînera inévitablement la consolidation de la culture du zapping et du surfing. Le risque est grand de voir l’élève, comme au supermarché, faire son shopping syncrétique, sans distance nécessaire, analyse et mise en perspective, donc sans compréhension intégrée des sujets abordés.

 

Je doute qu’en 50 minutes/semaine, le nouveau cours de citoyenneté puisse générer une véritable culture du questionnement philosophique et neutraliser, à l’échelle des adolescents, les menaces qui pèsent sur la coexistence pacifique de modes de pensée et d’action de plus en plus étrangers l’un à l’autre. Il n’est peut-être pas trop tard.


          En 2017, ne pas généraliser le questionnement philosophique deux périodes/semaine à tous les réseaux est une aberration  



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