Cycles !

 

"Que mon souvenir n'empoisonne aucune des joies de ta vie. Mais ne laisse pas ces joies détruire et mépriser mon souvenir. Garde-moi dans un petit coin secret de ton coeur. Et descends-y dans tes jours de tristesse. Pour y trouver une consolation ou un encouragement."            

                                                                          George Sand. 

 

Les cycles font partie de la vie. Les relations amoureuses comme les évolutions économiques n'y échappent pas. On rencontre, on se plait, on tombe amoureux, on s'emballe, on se marie, on se déçoit, on divorce. Voilà le cycle court pour les uns. Pour les autres, on ne se quitte pas au premier coup de vent, à la première tempête, quitte à trouver un arrangement de vie commune réaliste, on résiste et l'on prolonge le contrat en se félicitant "d'avoir tenu", d'avoir tourné le dos à l'amour klinex. Voici le cycle long. Certaines années sont marquées par une croissance économique fragile mais constante, d'autres cuvées, par un ralentissement de la production des richesses. Cette fluctuation s'inscrit le plus souvent dans un souffle économique étroit. Le cycle court y est de 3, 4 ou 5 ans pour les montées et de 3, 4 ou 5 ans pour les descentes. Nous sommes là dans les cycles courts dits de Juglar, telle la respiration humaine où se succèdent en permanence inspirations et expirations. Le cycle complet fait donc une petite dizaine d'années. Mais les mouvements économiques connaissent plus fondamentalement des oscillations plus durables. Elles sont comme des maladies sérieuses suivies de rémissions heureuses. Nous sommes là dans les cycles longs dits de Kondratiev; chaque cycle atteint plus ou moins 20 à 30 années pour les dépressions et 20 à 30 années pour les expansions. Le cycle complet fait donc en général un bon demi-siècle. Si certains économistes contestent la théorie des cycles, il faut tout de même reconnaitre que beaucoup d'études ont démontré sur plusieurs siècles l'existence des cycles courts et longs qui rythment la vie économique et sociale. Les aires géopolitiques sont elles aussi soumises aux spasmes et miasmes des sociétés humaines, aux enjeux économiques et financiers, aux ressentiments biberonnés dans les soubassements des mémoires collectives. Nous nous attacherons ici à tenter d'approcher les réalités des variations en ce qui concerne les relations humaines comme les dialectiques complexes qui scandent les bases matérielles, productives, technologiques et culturelles de nos sociétés contemporaines. Sans prétention scientifique. In fine, nous sommes tous unis par le cycle de la vie et de la mort, recommencé, réinventé.  

 

 

 

     

          La réélection de Poutine est une farce tragique !

 

Le satrape du Kremlin et ses sbires organisent ces jours-ci en Russie des élections présidentielles bidon. Le seul candidat apparemment crédible, un opposant récemment libéral, Boris Nadjdine, a été écarté sans explication ... Les trois candidats qui restent ne sont que des faire-valoir, des marionnettes récompensées plus tard pour avoir servi les plats au dictateur.

 

Le suspense est intenable quant aux résultats. Poutine obtiendra-t-il 75, 80 ou 85% des voix ? Au pouvoir depuis 1999 - ça fait tout de même près de 25 ans - sa réélection certaine, qui n'est malheureusement pas, elle, une farce, lui donnera six années de plus pour martyriser ses opposants et pour asphyxier le peuple russe.

 

Si l'Occident ne réagit pas vigoureusement et ne résiste pas fermement (Poutine ne comprend que les rapports de force), il va continuer à détruire méthodiquement l'Ukraine et menacer l'Europe, à commencer par les pays Baltes, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie.

 

Il a juré de reconstituer un empire sur le modèle de l'URSS ou plutôt un mixte tsaro-soviétique. Il a été et il est toujours un homme du KGB, aujourd'hui FSB. Il a fait changer la constitution pour pouvoir profiter des privilèges du Kremlin théoriquement ... jusqu'en 2036. Il est l'un des hommes les plus riches au monde. Fortune estimée à 200 milliards d'euros, faite sur la manne gazière et pétrolière ainsi que sur le "rendement" d'un système d'oligarques mafieux. Le 15 mars 2024. 

 

 

           Les leçons que l'histoire nous enseigne !

 

Nous ne saurions trop conseiller à celles et ceux qui s'intéressent aux leçons que l'histoire nous enseigne, de lire ou relire "L'étrange défaite" de l'historien et résistant français, Marc Bloch, fondateur, avec Lucien Febvre, de l'Ecole des Annales et fusillé par la Gestapo le 16 juin 1944.

 

Avant son exécution, il avait eu l'occasion d'écrire cet essai pour comprendre et analyser les racines du désastre français et européen face à l'agression hitlérienne:

 

" Quelque chose a manqué de l'implacable héroïsme de la patrie en danger." (...) Notre faiblesse collective n'a été que la somme de nos faiblesses individuelles." ...

 

Et puis, bien sûr, lire et relire les "Mémoires de guerre" du général De Gaulle: "Tout recule a pour effet de surexciter l'adversaire." ...

 

Tout est dit de la fragilité des démocraties, lorsque les ogres, ivres de pouvoir, décident d'en faire leurs proies, quand elles ne prennent pas à temps la mesure de la catastrophe qui s'annonce.

                                                                    Le 13 mars 2024.

 

 

                                                  L’humanité dans la guerre !

 

La guerre n’a jamais fait bon ménage avec l’humanité. Mais il y a des événements où la guerre est nécessaire pour se défendre contre un agresseur. Cela autorise-t-il les démocraties agressées et meurtries à recourir à tous les moyens pour assurer leur droit à l’existence ? Le cycle de la violence est-il inéluctable ? Le piège n'est-il pas là ? Une question qui ne date pas d’hier et que l'humanité n'a pas réglé. Le constat est cinglant. L'organisation des Nations unies, sensée prévenir les conflits, est depuis des décennies, aujourd'hui plus qu'hier, instrumentalisée, neutralisée, en mort cérébrale. 

 

Entre le 13 et le 15 février 1945, les forces alliées américano-britanniques, pour infliger à l’Allemagne nazie, après les atrocités commises contre les peuples européens et les six millions de Juifs exterminés par balles ou gazés, une punition telle qu’elle comprenne qu’elle n’avait aucune autre solution que d'accepter la défaite, bombardent la ville allemande de Dresde, faisant 35.000 morts et trois fois plus de blessés. La quasi totalité de "la Florence de l’Elbe" est détruite.

 

Quelques mois plus tard, les 6 et 9 août 1945, pour mettre définitivement fin au terrible conflit  entre le Japon et les Etats-Unis, le président Harry S. Truman ordonne le largage sur Hiroshima et Nagasaki de deux bombes nucléaires. Elles feront entre 100.000 et 220.000 morts directes, des centaines de milliers de blessés, d’autres personnes mourront par la suite de brûlures ou de cancers. Le Japon capitule le 2 septembre 1945. Le cycle infernal de la violence est certes arrêté. Mais à quel prix !

 

Ce ne sont que deux exemples parmi beaucoup d’autres qui montrent la cruauté de la guerre et sa déshumanisation. Même lorsque l’on se trouve du côté des agressés dans la dynamique de la contre-attaque, a-t-on le droit de recourir à la terreur pour triompher ? Les historiens et les philosophes débattent près de 80 ans plus tard de cette question hautement morale. Quelle est la légitimité de décisions politiques visant à détruire un ennemi et, pour ce faire, d'en passer par la mort de populations civiles qui, certes, ont soutenu ou soutiennent encore leurs belligérants ? Dans le cas de l'Allemagne nazie et de l'empire du Japon, Hitler et son parti national-socialiste, l’empereur Hirohito et son gouvernement de Kantaro Suzuki. Nombreux ont été les crimes contre l'humanité au nom de cette même humanité; concept trop souvent vidé de sa substance première à des fins de propagande.

 

Dès la fondation d’Israël, en 1948, sur la base de la résolution 181 du plan de partage entre un Etat juif et d’un Etat arabe palestinien, l’Etat hébreu a été agressé par une coalition d'Etats arabes voisins. Egypte, Transjordanie, Syrie, Irak et Liban, qui avaient voté contre la résolution onusienne, en sacrifiant ainsi l’Etat palestinien (un vote positif signifiait la création d’un Etat juif; un impensable dans leurs cerveaux) unissent leurs forces pour anéantir, ex nihilo, Israël, qui ne dispose pas encore à l'époque d'une véritable armée, mais de combattants aguerris de l'Irgoun  et de la Haganah. Malgré une supériorité en hommes et en matériels militaires, Israël gagne son premier grand conflit.

 

Face à des préparatifs avancés et avérés de guerre, en 1967, Israël déclenche la guerre des "Six jours", ainsi appelée car elle ne dura qu'une petite semaine pour venir à bout des armadas arabes.

 

Rebelote en 1973. Les Arabes profitent de la célébration de Kippour, jour de jeûne, de prière et de retour sur soi, donc de relâche de la nation, pour fondre sur Israël avec des centaines de chars et d'avions de combat En 19 jours, les forces arabes, après un gain provisoire, son défaites et humiliées.

 

Suite aux guerres de ’67 et ’73, Israël a occupé le Sinaï et le Golan et a conquis Jérusalem-Est, aux mains des Jordaniens. Depuis, de nombreuses agressions contre l’Etat hébreu se sont produites, particulièrement par attaques terroristes contre la population israélienne, avec armes à feu, armes blanches, voitures béliers. 

 

Les deux Intifadas palestiniennes (soulèvement en arabe) de 1987 et 2000, elle se sont soldées par la mort de nombreux arabes et blessés. Quelque peu ébranlé, Israël n'a jamais fait dans la dentelle dès lors qu'il s'agit d'insurrections violentes et d'attaques terroristes. 

 

Entre les deux révoltes, le processus de paix et le dialogue entre Israël et l’Autorité palestinienne ont miraculeusement conduit aux accords d’Oslo, signés à la Maison Blanche devant le monde entier, le 13 septembre 1993. Ce fut une grande victoire diplomatique (éphémère) du président Bill Clinton, un soulagement réaliste du premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, mâchoires serrées, et de son ministre des Affaires étrangères, Shimon Perez, plus décontracté. La satisfaction du leader palestinien, Yasser Arafat, a semblé sincère aux yeux de l'opinion public internationale.

 

Des concessions majeures de part et d’autre furent couchées noir sur blanc dans ces accords historiques. Grosso modo, reconnaissance de l'existence d'Israël et de sa sécurité, renoncement au terrorisme d’un côté; acceptation de la création d’un Etat palestinien en territoire cisjordanien avec Jérusalem-Est comme capitale, de l'autre. Il s'agissait-là pour beaucoup d'observateurs et d'acteurs du conflit d'une étape stratégique décisive. L'euphorie générale et l'illusion israélienne ne durèrent qu'un temps. Le chemin d'Oslo et de Washington avait été si pénible et si long. 

 

Quelques mois plus tard, devant la pression de la rue et des Etats arabes, Yasser Arafat renie les accords. Dans ses discours et interventions, on remarque qu'il ne dit pas la même chose en arabe et en anglais, sa marque de fabrique.

 

En Israël, c’est le choc et plus qu’une déception. On tourne la page et regarde l’Autorité palestinienne avec colère, une direction de l'OLP discréditée, non fiable. A Jérusalem, on se rappelle avec amertume le traité de paix israélo-égyptien de mars 1979 et la restitution du Sinaï ainsi que le traité avec la Jordanie (accords de Wadi Araba), d’octobre 1994. Beaucoup disent ouvertement que toutes les concessions d’Israël à l’égard des Arabes et des Palestiniens sont désormais vouées à l’échec, qu’elles ne servent qu’à duper Israël, puisque leur volonté commune est de voir disparaître l’Etat juif. Les événements de cette dernière semaine avec l'attaque sanglante du Hamas confortent évidemment la plupart des Israéliens à le penser. Pour eux, ce n'est plus une opinion, c'est une certitude.

 

Coté arabe, on fait avec. A tel point que les Palestiniens sunnites, abandonnés de toutes parts,  à Gaza et même en Cisjordanie, où ils doivent supporter la présence de colons juifs qui n'ont rien à faire sur leur terre, finissent par regarder du côté de l'Iran chiite. Le Hamas, organisation terroriste des Frères musulmans ira chercher à Téhéran, via les chiites libanais du Hezbollah, le soutien qu'ils ne reçoivent plus des Etats arabes, si ce n'est le Qatar. L'Autorité palestinienne en Cisjordanie perd pied avec la rue et semble se complaire dans un immobilisme incompréhensible et interprété par leur population comme de la lâcheté, voire de la trahison. Mahmoud Abbas, le président momie de l'Autorité, ira jusqu'à refuser de convoquer sur le territoire cisjordanien des élections législatives en 2021. 

 

Revenons quelques années plus tôt. Le puissant Hezbollah, bras armé au Liban de l’Iran des mollahs chiites, y a mis du sien aussi. Le 12 juillet 2006, kidnappe deux soldats israéliens et en tue huit autres. Cette opération du groupe terroriste chiite, "Promesse sincère", est considéré comme un acte de guerre par Israël. S’en suivront 34 jours d’un conflit intense entre la milice libanaise et Tsahal.

 

La riposte israélienne, baptisée "punition adéquate", est puissante. Le bilan est lourd: 1200 morts et 4000 blessés côté libanais; 160 morts, dont 117 soldats, et des centaines de blessés côté israélien. Pour la premier fois, l’Etat hébreu doit reconnaître qu’il n’a pas gagné la guerre et, finalement, qu’il s’en tire avec les honneurs pour certains, humilié pour d'autres. En face, à son Nord, se trouve une véritable armée, dotée de très importants stocks d'armes offensives et d'une masse de militants/soldats bien entraînés et fanatisés. Depuis, Etat dans l’Etat au Liban, pays dont la situation sociale et économique est dramatique, le Hezbollah n’a cessé de se renforcer grâce au soutien de l’Iran. 

 

En novembre 2022, avec le retour au pouvoir en Israël de Benjamin Netanyahou, qui emmène au gouvernement les pires extrémistes religieux et nationalistes du pays, de vrais fascistes, ceux-là mêmes qui ont armé le bras du Juif Ygal Amir, l'assassin d'Yitzhak Rabin, tout est fait pour affaiblir et discréditer l'Autorité palestinienne, déjà bien entamée. En sous-mains, le premier ministre favorise des contacts avec le Hamas, qui joue le jeu, pour obtenir une accalmie. On connait la suite ... 

 

Deuxième axe de sa politique, régler son compte à la plus haute juridiction d'Israël, la Cour constitutionnelle, garante du droit et vigie de la légalité des lois votées à la Knesset. L'idée est de permettre à l'assemblée parlementaire, par de simples majorités, de fixer le curseur légal des projets et propositions de lois. Netanyahou s'est ainsi vendu et a voulu vendre la démocratie israélienne à l'extrême droite juive. Depuis des mois, des centaines de milliers d'Israéliens, semaine après semaine, se sont rassemblés à Jérusalem et à Tel-Aviv pour dénoncer ce qui s'apparente à un coup d'Etat. 

 

L’attaque surprise, massive et coordonnée du Hamas du 7 octobre dernier a stoppé net le mouvement de contestation. Elle restera dans l’histoire comme celle d’une organisation barbare. Elle a pour conséquence le retour à l'unité du pays, non pas derrière Netanyahou et le nouveau gouvernement de crise, mais derrière son armée, Tsahal. Cela durera le temps qu'il faudra, celui de la guerre. Après, nous l'avons écrit ici même, les comptes se régleront et les ministres en place depuis fin 2022 devront s'expliquer devant une commission parlementaire et une nation en colère. D'ici là, une guerre terrible et imprévisible va percuter les corps, les coeurs et les esprits.

 

Les terroristes de la milice sunnite gazaouis, avec l’aide du Jihad islamique local, ont massacré 1400 personnes, peut-être davantage, bébés, enfants, femmes, y compris enceintes, hommes et vieillards. Ils ont kidnappé 200 otages, israéliens et internationaux, et les utilisent comme boucliers humains. Un déchaînement de violence contre des Juifs jamais vu depuis la Shoah. Nous l’avons déjà affirmé, comme n’importe quel Etat dans le monde agressé de cette manière, Israël a le droit de se défendre et de contre-attaquer. Son objectif déclaré est l’éradication du Hamas dans la bande de Gaza. Y parviendra-t-il ? Tsahal s’apprête à envahir l’enclave palestinienne avec toute sa puissance. 

 

Le nouveau gouvernement de crise a demandé à la population civile palestinienne de quitter le Nord de Gaza et de se rendre au Sud, au-delà de la rivière Besor. Vendredi 13 octobre, il lui a donné 24 heures pour le faire. C’était totalement irréaliste et immoral. La preuve, l’exécutif israélien a prolongé de plusieurs jours le délai pour raisons humanitaires. Il aurait dû commencer par là. 

 

Comment 1.000.000 de personnes, enfants, femmes, hommes, vieillards et animaux, peuvent-elles faire leurs bagages et se déplacer en masse en aussi peu de temps ? La communauté internationale ne peut rester les bras croisés devant ce qui pourrait devenir une tragédie. Avec le concours d’Israël, elle doit assurer l’évacuation des malades, des blessés et des vielles personnes des hôpitaux et des habitations de Gaza situés dans la zone visée par Tsahal. Bientôt, il n'en restera plus rien. 

 

Le Hamas, qui se terre dans les centaines de kilomètres de tunnels sous l’enclave et qui continue à tirer depuis plusieurs jours des centaines de missiles et roquettes sur les villes et villages israéliens, fait tout pour empêcher l’exode des civils palestiniens, jusqu’à les menacer. En vain. Les très nombreuses personnes qui fuient doivent rapidement pouvoir disposer de couloirs humanitaires sécurisés, de quoi se nourrir, se vêtir et se loger dans le Sud gazaouis. Il n'y a pas d'autre alternative.

 

L’Egypte a déclaré pouvoir les secourir, mais se refuse, cyniquement, à les accueillir au titre qu’elles "doivent rester sur leur terre". Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, ennemi juré des Frères musulmans de son pays, ne veut surtout pas voir sur son sol la moindre population palestinienne qui pourrait renforcer l'ennemi intérieur. Quant au droit humanitaire, ce n'est pas le souci du dictateur.

 

Tsahal, armée israélienne du peuple, pour laquelle chacun et chacune est dans l'obligation d'effectuer un service militaire de trois ans pour les hommes et de deux ans pour les femmes, d'être rappelé(e), où qu'il ou elle se trouve, en cas de nécessité, a toujours été renommée, non seulement pour son efficacité, bien malmenée depuis une semaine, et admirée pour son éthique. Elle a toujours veillé à protéger autant que possible les populations civiles de ses ennemis. Lorsqu'elle frappe un immeuble, elle en avertit au préalable les habitants. Quelle autre armée dans le monde fait-elle cela ? Demandez aux Ukrainiens ce qu'ils pensent des bombes et des missiles russes. Aujourd’hui, Tsahal est pleinement en droit de tenter de détruire le Hamas, mais, dans le même temps, elle doit respecter au maximum sa charte morale: protéger et défendre l’ensemble des Israéliens et tout faire dans la mesure du possible, pour épargner les populations civiles palestiniennes, à Gaza, otages en réalité du Hamas.   

 

Israël et les Juifs de la diaspora ont suffisamment d’ennemis dans le monde pour ne pas ajouter des actes irréfléchis et inconséquents à la présente situation, aussi difficile que complexe. Car la vie des otages israéliens et internationaux est en cause. Les sauver relève de la quadrature du cercle.

 

On observe depuis quelques jours des propos, des écrits et des actes de haine à l’égard des Juifs. Plus de 200 en France en 72 heures. Vendredi 13 octobre, un professeur de français, Dominique Bernard, a été assassiné par un islamiste tchétchène dans son lycée, à Arras, Nord de la France. Ce 16 octobre, il y aura trois ans, on célèbrera la décapitation du professeur d’histoire et de géographie, Samuel Paty, par un autre islamiste tchétchène devant son école, à Conflans-Sainte-Honorine, pour avoir voulu débattre avec ses élèves des caricatures de Mahomet.

 

La mort de Dominique Bernard est liée directement à la situation au Moyen-Orient. Le danger est réel d'une importation plus grande encore du conflit sur le sol européen. La France, qui par la voix du président Emmanuel Macron, a exprimé sa solidarité avec Israël et la condamnation sans équivoque de l'attaque barbare du Hamas, est d'ores et déjà en état "urgence attentat". Les jours et les semaines qui viennent risquent de voir en Europe un certain nombre de radicalisés vouloir passer à l'acte. Les services de renseignement et de sécurité sont à cet égard très mobilisés. 

 

Les terroristes, leurs commanditaires au Levant et leurs soutiens à Moscou veulent nous voir renoncer à notre mode de vie, à nos valeurs citoyennes et laïques, à l’égalité hommes/femmes, aux droits des LGBT+, à la séparation des cultes et de l'Etat. Ils vomissent ce que nous sommes, aux Etats-Unis, en Europe ou en Israël. Avec la complicité active et passive de puissances dévorées d'obsessions de grandeur, ils feront tout pour affaiblir durablement les démocraties, voire les détruire. Il y a là, bien sûr, c'est ce qu'ils désirent, comme un cycle infernal à nos portes qu'ils faut déjouer. 

 

Nos démocraties doivent pouvoir se défendre, sans faiblesse, face aux menaces, à la terreur et aux agressions. Mais pour ne pas se renier et faire mentir nos valeurs, elles ont l'obligation morale, car elles incarnent cette morale, de le faire dans le respect des règles de la guerre et des droits humains. Ajouter des crimes de guerre aux actes de guerre, parler de "revanche" dans les déclarations officiels d'un Etat démocratique est inapproprié.

 

Ne pas respecter le droit international ne fera qu'apporter de l'eau au moulin aux adversaires directs et indirects des démocraties. Israël est en droit de protéger ses citoyens et d'anéantir son ennemi. Mais il ne peut sombrer dans la sauvagerie des terroristes du Hamas, du Hezbollah et de l'Iran, sous peine de détruire l'élan de sympathie et de solidarité d'une partie de la communauté internationale et de vendre son âme au diable. Le peuple juif n'a jamais été du côté de la force obscure. Bien au contraire.

                                                                Le 15 octobre 2023. 

 

 

 

i          Au Niger, fracture entre les Etats-Unis et la France ! 

 

Le 06 août dernier, l'administration Biden a envoyé à Niamey une émissaire de haut niveau rencontrer l'un des membres de la junte qui a pris le pouvoir par la force le 26 juillet 2023. Les Américains disposent au Niger de deux bases militaires, à Niamey et Dirkou, cette dernière étant occupée par la CIA et dotée d'un groupe de drones de technologie récente. La mission de ces engins sans pilote est stratégique: ils permettent l'observation et la neutralisation dans tout le Sahel des groupes terroristes djihadistes. Ce sont les yeux et les oreilles américaines dans toute la sous-région.

 

La venue de Victoria Nuland, la numéro deux par intérim de la diplomatie américaine, n'est pas passée inaperçue. C'est le moins que l'on puisse écrire. Elle a rencontré l'un des hommes forts des putschistes, le général Moussa Salaou Barmau, qui a fait sa formation d'officier aux Etats-Unis.

 

Selon les déclarations de la représentante du secrétariat d'Etat américain, sans doute de la Maison Blanche directement, "les discussions ont été franches, parfois difficiles ...". En langage diplomatique, cela signifie que l'échange a été direct et brutal, malgré la proximité des anciens liens entre ce général nigérien et le Pentagone.

 

Toujours est-il que cette rencontre, dont la France n'a été informée qu'a posteriori, revêt un caractère politique certain. Comment ne pas y voir une précipitation américaine à reconnaître de facto la junte nigérienne ? Cela rappelle les négociations entre Washington et les Talibans en Afghanistan, avant leur départ catastrophique de Kaboul en forme de débâcle et de chaos. 

 

Autant vous dire qu'à Paris, le Quai d'Orsay et davantage encore l'Elysée ont très mal vécu un épisode qui pourrait passer aux yeux de la France pour un coup de couteau dans le dos, une forme de trahison. Les apparences sont évidemment sauves - circulez, il n'y a rien à voir - mais, en coulisses, les lignes de communication entre les deux puissances occidentales ont chauffé.

 

L'explication est simple: les Américains ne veulent en aucun cas devoir quitter le Niger et voir arriver la milice Wagner à Niamey. La contagion russe au Sahel est suffisamment inquiétante pour pouvoir se permettre de passer outre certains principes de droit et dénaturer quelque peu l'alliance avec Paris. Que les trois bases françaises doivent à terme dégager n'est pas le souci des Américains.

 

Tout bénéfice pour les putschistes qui pourront ainsi diviser les Occidentaux et jouer quand même la carte wagnérienne. Celle-ci pourrait s'avérer utile pour conserver le pouvoir et renverser la  donne géopolitique de l'Afrique de l'Ouest. Par ailleurs, il est certain que Moscou, en dépit des déclarations du Kremlin appelant à l'apaisement - et non au rétablissement du pouvoir légitime renversé - ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Pourquoi se priver des mafieux d'Evgueni Prigojine qui font du bon travail en se servant sur la bête africaine, avec un retour sonnant et trébuchant dans la mère patrie, au prix d'une protection des dictateurs contre la menace terroriste islamiste ?

 

Les Américains ont tenu aux putschistes nigériens un discours d'une totale clarté. C'est vrai. Mais le monde entier a vu que la France était la cible première de la junte et des nombreux jeunes manifestants à Niamey, comme elle l'a été au Mali, au Burkina Faso et l'est dans beaucoup d'autres pays de la sous-région. Tandis que les Etats-Unis, plutôt discrets en ce qui concerne l'expression de leur solidarité à l'égard de Paris, n'ont pas fait l'objet des mêmes scènes de rejet et de haine.

 

Le président Macron n'a rien caché de sa détermination à empêcher en sous-main le coup d'Etat de réussir en soutenant ouvertement la menace d'une intervention militaire de la Cedeao. Après trois semaines de "retenez-moi ou je fais un malheur ...", on a toujours rien vu. Nous pensons encore (*) qu'elle n'a pas la capacité politique et militaire pour intervenir directement à Niamey. En plus, les risques d'un bain de sang avec la population sont trop grands, sans parler d'une externalisation du conflit avec les alliés putschistes de la junte nigérienne.

 

Pendant ce temps, le profil bas de l'administration Biden renforce le début de fracture géostratégique au Sahel avec la France et encourage chaque jour un peu plus la junte militaire à camper sur une position dure, tant à l'encontre de l'ancienne puissance coloniale qu'à l'égard du président légitime Mohamed Bazoum, toujours séquestré et aujourd'hui menacé. Le 16 août 2023.

(*) Voir analyse ci-dessous.     

   

                  (*) Mockba Africa ...

 

      Après celui de Sotchi, en 2019, le second sommet Russie/Afrique de Saint-Pétersbourg, des 27 et 28 juillet derniers.

 

Les siècles passés ont vu l'Europe dominer le monde, maîtriser les mers, cultiver les terres, importer dans les métropoles, puis exporter vers les nouveaux mondes, structurer des routes commerciales où la chair humaine déportée avait moins de valeur que les épices. Une bataille de chaque instant entre puissances coloniales a fait rage entre Espagne, Portugal, France, Angleterre, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Italie. Ainsi, au fil des conquêtes et des occupations, des centaines de peuples autochtones, des millions d'hommes, de femmes et d'enfants se sont vus pillés et soumis à des pouvoirs lointains et insensibles, qui n'ont pas hésité à recourir à la violence, aux meurtres et aux massacres pour des enjeux au service de causes prédatrices et d'ambitions voraces. Ne croyez pas que les blessures locales ont cicatrisé avec la période du néo-colonialisme et des guerres d'indépendance. Malgré le faible taux de scolarisation en Afrique, les peuples ont de la mémoire. 

 

Aux anciens règnes ont succédé des régimes de soudards indigènes, dont l'unique projet fut trop souvent de s'en mettre plein les poches et d'ignorer la condition toujours misérable de leurs peuples. Ces nouveaux riches couleur locale n'ont pas oublié de remercier les maîtres européens, qui, depuis les capitales occidentales, orchestraient les passassions de pouvoir. Plus d'une fois, dans les années fin '50 et '60, les transitions, que se devaient de respecter les intérêts bien compris des uns et des autres, ont été malmenées par des résistances révolutionnaires de rupture entre ex-colonies et nouveaux partenaires. L'Afrique n'a pas manqué de voir disparaître soudainement des leaders charismatiques dont les intentions ne cadraient pas avec la doxa néo-coloniale. Beaucoup d'entre eux sont allés piteusement à Moscou comme d'autres à Canossa. 

 

Du côté des régimes totalitaires communistes, on est pas resté les bras croisés. Voyant leurs alliés locaux s'évaporer les uns après les autres, l'URSS et ses vassaux ont décidé de mener la vie dure aux potentats dictateurs en place. C'est ainsi que des bataillons entiers de "guérilleros" cubains et autres mercenaires mi-marxistes mi-mafieux ont été envoyés in situ afin de faire basculer les régimes corrompus dans "le camp de la paix", "marionnettes aux mains de l'Occident". Cela a réussi dans certains cas, comme en Angola, au Mozambique, au Mali entre autres. La logique des blocs s'est ainsi imposée au continent noir. Il fallait que chacun choisisse son camp, reproduction à peine édulcorée des rapports de force Est-Ouest en Europe. 

 

Et puis advint 1989 et la chute du Mur de Berlin, symbole des symboles de la division du monde. Deux ans plus tard, ce fut l'effondrement de l'empire soviétique dans un chaos politique dont a a du mal aujourd'hui encore à en mesurer l'ampleur et les conséquences. Vladimir Poutine a dit un jour que "la plus grande des catastrophes du XXème siècle était la chute de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques". Pas la Première et la Deuxième Guerres mondiales et la centaine de millions de victimes. Pas la Shoah et ses 6 millions de Juifs exterminés parce que nés juifs. Pas la révolution culturelle chinoise, dont les meilleurs sinologues n'ont jamais pu évaluer précisément le nombre de sacrifiés sur l'autel du "Grand timonier". L'estimation basse est de 100.000.000 de morts, la haute, 150.000.000. On ne saura jamais. Pas plus non plus le génocide arménien organisé par la Turquie et son 1.300.000 morts, entre 1915 et 1916. Pas plus que le génocide Tutsie en 1994 et son million de personnes massacrées par les Hutus. Non, billevesées que tout cela. La perte de l'empire russe - car c'est bien la puissance coloniale russe qui détenait tous les pouvoirs au sein de l'URSS - oui, la perte, comme un aveu de regrets et de remords appelant à la vengeance ...

 

Et voici la nouvelle Fédération de Russie, née sur les cendres du monstre stalinien sous la férule du petit Tsar Poutine, après les épisodes humiliants Gorbatchev et Eltsine, partie à la reconquête de son "espace vital" perdu. Le despote n'a-t-il pas affirmé lui-même: "La Russie n'a pas de frontières" ... Tout un programme, dont il s'est empressé d'appliquer les termes en Tchétchénie, en Géorgie, en Moldavie, en Syrie (le boucher de Damas n'est qu'un instrument aux mains du Kremlin) et bien sûr, dès 2014, en Ukraine, avec l'annexion de la Crimée et l'occupation du Donbass. Cerise sur le gâteau dégoulinant de vodka et sang, le 24 février 2022, avec l'invasion de l'Ukraine et la guerre barbare que Moscou avait décidé de mener "au frère slave de Kiev".

 

Deux gros cailloux sont venus se mettre dans les bottes militaires du dictateur. Le premier est Volodymyr Zélensky, incarnation de l'extraordinaire résistance et du courage admirable du peuple ukrainien. Le second est le soutien massif des Etats-Unis, des pays européens et de l'Union européenne, quoique toujours trop tardif, à la libération des territoires occupés par la Russie, du Donbass à la Crimée.

 

Cette agression n'est ni plus ni moins une guerre coloniale, dont nos "amis" et partenaires africains, alliés actifs ou discrets du potentat, feraient bien de méditer la leçon à l'échelle de l'histoire. Car voilà un Etat, un grand pays, qui siège au Conseil de sécurité de l'ONU et qui s'assied allègrement sur tous les principes de droit international avec le soutien décomplexé de la Chine. Cela ressemble furieusement à "l'axe du mal" de George W. Bush junior, même si, dans son cas, en 2003, sa formule sommaire lui a servi de cache-sexe au mensonge "des armes de destruction massive" à l'invasion désastreuse de l'Irak qui ne les possédait pas.

 

Il faut tout de même bien constater aujourd'hui que les démocraties américaines, européennes et asiatiques sont confrontées à un défi, voire à une menace de taille: leur affaiblissement systémique et l'émergence d'un nouvel ordre international qui ferait des droits humains une variable d'ajustement dans le meilleur des cas, un ornement juridique et cosmétique, plus certainement, un vestige du passé. Nous en sommes (presque) là.

 

Il semble que le cycle de violence et de haine s'épanouisse à nouveau en Afrique. Ces dernières n'ont jamais disparu, d'Alger à Johannesburg, d'Abidjan à Mogadiscio, elles ont répandu leur fiel allant jusqu'à embrigader des enfants-soldats enivrés d'alcool et de propagande. Au partage de l'Afrique et de ses grands espaces entre puissances du Vieux Continent a succédé l'avènement de nations découpées au couteau, séparant dans bien des cas nombre d'ethnies, de tribus et de langues de manière arbitraire et géométrique. Les nationalismes, héritage post-colonial, s'y sont épanouis, exacerbant comme jamais les conflits intra-africains sous l'oeil vigilant des grandes compagnies minières et du pétrole; chacun veillant à ne pas perdre le moindre centimètre carré de ses prébendes. Les clans au pouvoir ne se sont pas gêné pour confondre le trésor public de leur pays avec leurs porte-feuilles et porte-monnaies. La coopération internationale des Etats occidentaux avalisant la prévarication en prétextant qu'un partenariat égalitaire exigeait le respect de l'indépendance ... 

 

Les tensions n'ont cessé de croître depuis les indépendances nationales. L'empire britannique a su se reconvertir en Commonwealth; Londres gardant un lien monarchique symbolique avec ses anciennes colonies. La Belgique a tenté vaille que vaille, avec de nombreuses crises de perte de confiance entre les deux parties, de préserver des relations qu'ont eu voulu privilégiées à Bruxelles avec le Zaïre, devenu la République démocratique du Congo. De l'autre côté du fleuve éponyme, là comme ailleurs, la France n'a cessé de rechercher obstinément une hégémonie économique et politique au Congo Brazzaville. 

 

A l'image des rivaux européens, l'ex-empire français a dû s'adapter. Mais la France, à la différence des autres, a voulu réinstaller, pour diverses raisons, parfois justifiées, souvent faiblement crédibles, une présence militaire soit de longue durée, soit qui n'a de provisoire que l'appellation (Djibouti, Tchad, Centrafrique, Mali, Cote d'Ivoire, Sénégal, Niger). C'est ainsi que des bases armées opérationnelles ont fleuri ici et là et que des opérations anti-djihadistes se sont déployées ces dernières décennies. Peu sont les observateurs avisés qui ont pu voir clair et discerner entre les objectifs officiels affirmés et la réalité de terrain, entre missions de protection des populations africaines et objectifs de contrôle, d'influence et de maintien des chefs d'Etat amis, alliés et partenaires de Paris. Tout cela s'est passé sous le voile du secret et d'une opacité délibérée.

 

Cela avait commencé avec le président De Gaulle, qui a modelé, non seulement la Vème République, mais encore le concept volatile de "Françafrique". Son homme de main, Jacques Focart, assurant à Paris, via un réseau de fidèles, le relai ombilical avec les régimes en place. Le président Giscard d'Estaing s'est emmêlé les pinceaux, particulièrement en Centrafrique, en juxtaposant un discours libéral d'émancipation des Etats africains et une pratique indécente de chasses au grand gibier et de galas rutilants. Le président Mitterrand, tout en voulant se démarquer de la politique de ses deux prédécesseurs, n'a pas pu s'empêcher de diligenter pas moins de quatre conseillers Afrique, dont le digne successeur de Focart, Guy Penne. Quant aux président Chirac, on peut dire que sa passion livresque pour "les peuples premiers", bien réelle, a plus d'une fois couvert son appétence pour les virées africaines et un semblant de résistance face à l'affaiblissement constant et durable des "intérêts français" en Afrique. Lui aussi avait son réseau et ne s'en est pas privé. 

 

Le cours des choses a changé une nouvelle fois la donne. Avec les attentats terroristes de New York, le 11 septembre 2001 a sonné le glas de "la fin de l'histoire" qu'avait théorisé le politologue américain, Francis Fukuyama dans la foulée de la chute du Mur de Berlin. Ce fut le coup d'envoi d'un djihad renaissant qui avait pour orchestrateur une organisation afghane appelée al Qaïda et pour bailleur l'Arabie saoudite. Le monde entier a vu ainsi naître et grandir une multitudes d'organisations rattachées de près ou de loin au mouvement de Ben Laden. La suite est connue, attentats terroristes sanglants, déstabilisation de régimes despotiques, perte d'influence occidentale et remise en cause fondamentale des valeurs démocratiques. Et pour finir, si l'on peut dire, montée en puissance au Levant d'un rival mortel d'al Qaïda, l'Etat islamique. 

 

Bien involontairement, dans ce sinistre sillage, les présidents Sarkozy et Hollande ont marqué de leur sceau élyséen la saga africaine. Similaire par les louables intentions humanitaires. Et tout aussi semblable quant aux conséquences dramatiques de leur initiative  Le premier, en 2011, avec l'appui militaire indispensable des Etats-Unis, par l'opération "Harmattan". Après lui avoir déroulé le tapis rouge à Paris, Nicolas Sarkozy décide une intervention aérienne en Libye pour renverser le sulfureux et gênant Colonel Kadhafi. Le second, en 2013, via l'opération "Serval", à la demande du président malien, Dioncounda Traoré, en grande difficulté face aux terroristes des rebelles touaregs du MNLA et du mouvement salafiste, Ansar Dine. François Hollande ordonne l'intervention de l'armée française pour sauver Bamako, les Maliens et les expatriés d'une potentielle prise de pouvoir des islamistes fanatisés et de massacres.

 

Dans un premier temps, les deux opérations sont un succès. Mais, avec la disparition du dictateur libyen, un chaos indescriptible s'empare du pays; la dispersion dans toute la sous-région de l'armement considérable que Tripoli disposait servira à armer lourdement et pour longtemps les groupes terroristes islamistes comme Boko Aram ou al Qaïda au Maghreb. La Libye livrée aux chefs de guerre ne cessera depuis de déstabiliser tout le Sahel. Le 2 février 2013, François Hollande est accueilli à Tombouctou comme un héros. Seulement voilà, les djihadistes n'ont pas dit leur dernier mot et étendent leur nuisance et venin dans toute la sous-région. Serval devient Barkhane et oblige la France, avec le soutien superficiel des Européens, de tenter de contrôler l'immense zone sahélienne avec 3000 soldats. En vain. Le terrorisme s'étend et coûte très cher à Paris. Au 1er août dernier, 58 militaires français ont perdu la vie dans ces deux opérations qui n'ont finalement servi à rien.

 

Entretemps, la Russie poutinienne n'a pas perdu de temps. De Madagascar au Mali, en passant par le Tchad, le Centrafrique, la Guinée, le Burkina Faso et bientôt le Niger, les mercenaires mafieux du groupe Wagner, création sui generis du maître du Kremlin, selon ses propres et récentes déclarations, se sont installés avec l'accord de militaires mû par la soif de pouvoir. Aux juntes arrivées à la tête de l'Etat par un coup de force, le contrat wagnérien est simple: on vous protège de la menace islamiste, vous, votre clan et vos privilèges. Nous, nous nous servons sur la bête: gisements de cuivre, de diamant, d'or, de graphite, minerais de fer, kaolin, cyanite, lignite, uranium ... toutes richesses minières une fois extraites et exploitées au service de la grandeur de la Russie, de son parrain et de ses oligarques corrompus, dont l'inénarrable barbare, Evgueni Prigojine.

 

Tout cela sur fond d'une guerre coloniale russe en Ukraine, guerre perdue d'avance, certes, mais une "opération spéciale" dévastatrice pour le peuple ukrainien et redoutable d'implications géostratégiques pour l'Europe, son territoire et ses peuples, plus généralement pour les Occidentaux. 

 

Le 18 août 2020 puis le 24 mai 2021, deux coups d'Etat au Mali change complètement la situation. La France et son armée n'ont pas réussi à éradiquer les djihadistes. Une junte militaire prend le pouvoir. Dans la foulée, le groupe Wagner et la diplomatie moscovite proposent leurs services au président dictateur Assimi Goïta. Le coup de force a beau être condamné par la communauté internationale (à l'exception de la Russie, de la Chine et de leurs alliés), par la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), rien n'y fait. Le 2 mai 2022, le Mali rompt les accords de défense avec la France et ses partenaires européens. Les militaires français doivent quitter le pays. Ce sera fait le 13 juin de la même année.

 

Le 22 janvier 2023, après un coup d'Etat jumeau à celui du Mali, la junte militaire nouvellement au pouvoir à Ouagadougou a dénoncé l'accord qui régissait depuis 2018, qui avait succédé à celui de 1961, la présence des forces armées françaises sur le territoire du Burkina Faso. Même schéma qu'à Bamako. Les militaires français stationnés au "pays des hommes intègres" doivent dégagé. Un mois après la sommation, soit le 22 février dernier, l'armée française quitte la Burkina Faso, toute honte bue pour les uns, la queue entre les jambes pour les autres. Il ne fait guère de doute que le président putschiste, Ibrahim Traoré, n'a pas perdu de temps pour inviter à Ouagadougou ses amis du groupe Wagner. Le bon vouloir du petit Tsar n'attend pas.

 

Soyons de bon compte. Les Russes ne sont pas directement à l'origine des prises de pouvoir par la force, mais ils sont à la manoeuvre et sont passés orfèvres pour souffler sur les braises et récupérer ce qui peut l'être. Espérons seulement que les peuples africains qui sont et seront sous la coupe des Russes auront tôt fait de se rendre compte de l'infamie de leur présence dans leurs pays, mercenaires voyous et "diplomates" compris. 

 

Voilà qu'un troisième larron rentre dans la danse, le Niger. Le 26 juillet dernier, un putsch militaire, quelque peu improvisé, tout-à-fait calqué sur les deux autres, a pris de court le président nigérien Mohamed Bazoum, aussitôt déposé et séquestré dans sa résidence de Niamey. La communauté internationale, la France, les Etats-Unis condamnent fermement le coup d'Etat, comme pour se répéter. Un certain général Abdourahamane Tiani s'est autoproclamé grand chef de bande. 

 

Relevons que la DGSE, les services de renseignement extérieur français, une fois de plus, a été incapable de détecter à temps et d'alerter le président français des derniers événements. Rappelons-nous qu'ils n'ont pu informer l'Elysée de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, contrairement à la CIA américaine qui a fait le job. A tel point qu'Emmanuel Macron a poussé une gueulante à l'encontre des responsables des services secrets.

 

Le 1er août dernier, devant les scènes de saccage de l'enceinte de l'ambassade française à Niamey, le président a décidé de faire évacuer, sur base volontaire, tous les ressortissants français et européens. En deux jours, via quatre Airbus, l'opération était terminée. Reste la présence de 1500 militaires français au Niger. Si le coup d'Etat va à son terme, il ne faut pas être grand expert pour prévoir que le processus d'expulsion sera le même qu'aux Mali et Burkina Faso. Nous apprenons aujourd'hui que RFI et France 24 ont été interdites de diffusion au Niger. Comme un avant-goût du plat de résistance ? 

 

Les Etats-Unis sont aussi présents au Niger, avec les bases de Niamey et de Dirkou (un bon millier de militaires), où des drones de repérage et de neutralisation des djihadistes sont opérationnels. Le Niger est pour Washington la tête de pont d'une trentaine de sites américains en Afrique. Pour l'heure, nul n'évoque leur départ, comme si les putschistes craignaient  la réaction de la Maison Blanche. Ce n'est pas le cas de l'Elysée.

 

Saisie du dossier, la Cedeao a donné un ultimatum d'une semaine à la junte. Il se clôture dimanche 6 août. Le Nigeria et le Sénégal sont particulièrement remontés contre celle-ci.. Ils ne cachent pas leur intention d'intervenir sous les auspices de l'organisation sous-régionale. Le feront-ils, le pourront-ils ? Ils joueront avant-tout la carte diplomatique. Nous doutons d'un conflit armé fratricide. La fragilité politique et la faiblesse militaire de la Cedeao ne plaident pas non plus pour ce scénario. Mais qui sait ?

 

Nous pensons que Paris, qui n'interviendra pas directement - ce serait pure folie - négocie en sous-main avec Washington et les gouvernements concernés pour éviter, dans un premier temps, toute escalade. A défaut, vu l'importance de l'enjeu nigérien - position stratégique au Sahel et production d'uranium - il n'est pas interdit de penser que les deux capitales occidentales veillent à fournir un soutien logistique et en armements aux pays de la Cedeao bien décidés à ne pas laisser l'épidémie putschiste s'étendre à d'autres Etats de la région. 

 

Ils sont évidemment concernés parce que menacés eux-mêmes à terme. Le Nigéria est suffisamment fort et ouvert à un islam intégriste pour s'éviter un terrorisme islamiste ainsi qu'un putsch intérieur. En revanche, en ce qui concerne directement la Cote d'Ivoire et le Sénégal, nous sommes persuadés que ces deux pays constituent les cibles de choix à la fois pour les djihadistes, qui rêvent de faire tomber un jour ces bastions pro-français, et pour les opposants intérieurs ouvertement pro-russes, qui comptent sur de prochaines élections pour renverser les alliances en cours. Ils ne manquent ni les uns ni les autres dans le sous-continent africain et d'Abidjan à Dakar. "Les Patriotes africains du Sénégal pour le Travail, l'éthique et la fraternité" d'Ousmane Sonko ne cachent pas leurs affinités moscovites ... 

 

La récente répression du parti de cet opposant sénégalais au président Macky Sall - qui a fort opportunément annoncé qu'il ne briguerait pas un troisième mandat, interdit par la constitution - témoigne de l'extrême tension qui règne à Dakar. Le rival du président, dont le discours est pour le moins conciliant à l'égard de Poutine, s'est vu empêché de se présenter aux prochaines élections présidentielles du 25 février 2024. Ce qui n'a pas manqué de provoquer dans les rues de la capitale des émeutes qui ont fait des dizaines de morts. Depuis, il découvre les joies des prisons sénégalaises.

 

Il y a quelques mois, nous étions de retour au Sénégal, pays que nous connaissons bien pour y avoir séjourné et travaillé. Nous avons pu mesurer la haine anti-française derrière le rejet de l'Occident. La France aurait tort de sous-estimer la lame de fond qui vient du sud-est. Les services français ont désormais l'obligation de ne pas rater la prochaine manche. La Cote d'Ivoire, c'est le cacao. Le Sénégal, c'est le coeur du coeur de la France en Afrique. Une prise de choix, avec ses 20 à 30.000 ressortissants français et quelques milliers d'Européens de Saint-Louis au Cap Skirring. 

 

On ne peut comprendre l'extrême vigilance et fermeté de Dakar sans donc les relier à ce qui se passe dans l'ensemble sahélien et dans le même temps à l'intérieur du pays. L'enjeu n'est autre qu'un changement d'alliance au profit de Moscou. Remarquons que Pékin, de son côté, présent en Afrique depuis plus de quarante ans et dont la stratégie, plus subtile, est tout aussi invasive, voit plutôt d'un bon oeil l'affaissement progressif des démocraties occidentales en Afrique. En attendant, plus que la donne - à l'Est de l'Afrique, le schéma systémique semble le même - il s'agit d'un nouveau paradigme géostratégique en marche.

 

Nous sommes convaincus que les puissances occidentales doivent maintenant laisser l'Afrique aux Africains. Il n'y a pas de raison de maintenir là-bas des "emprises" comme on dit aujourd'hui, des bases militaires sous des habillages aussi trompeurs qu'anachroniques. L'explication "à la demande de ..." ne tient plus. Bien sûr, un départ général des Occidentaux (les Etats-Unis, l'Allemagne et l'Italie sont également positionnés au Niger) ne sera pas sans danger et retombées négatives. Autant le savoir. Avons-nous encore le choix ? Le réchauffement climatique, la pauvreté endémique, la corruption des régimes en place, la poussée djihadiste ainsi que la lèpre Wagner concourent objectivement à l'explosion d'une immigration vers l'Europe.

 

L'Union européenne doit s'y préparer avec humanité mais aussi rigueur. Il ne s'agit pas de brandir le fantasme du "grand remplacement", cher aux extrêmes droites, mais, oui,"nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde", comme l'a déclaré le clairvoyant Michel Rocard. Nous n'en n'avons pas terminé avec le terrorisme islamiste. Il est probable qu'il profitera de l'arrivée massive des migrants pour s'infiltrer dans les démocraties européennes. C'est pourquoi celles-ci ne doivent en aucun cas relâcher leur vigilance et leurs capacités de surveillance et de réaction. Les années à venir diront si l'Union européenne, menacée de toutes parts, pourra gérer les nombreux défis qui se présentent à elle et à chacun de ses membres. Nos opinions publiques doivent en prendre la pleine mesure. Ce n'est actuellement pas le cas et c'est très regrettable. 

 

L'un de ces défis, et non des moindres, n'est autre que l'entreprise protéiforme russo-chinoise de déstabilisation de l'Europe. A la fois économique, commerciale, technologique, informatique, militaire, sur terre, dans les mers et dans l'espace. Nous sommes à la veille d'une intensification d'entreprises malignes. Il y a quelques années, Yannick Noa chantait "Saga Africa". La mécanique des plaques géopolitiques a viré de bord. Elle annonce aussi l'avènement d'une "Mockba Africa", qui ne cache rien de ses ambitions et menaces.

(*) On pourrait traduire par l'Afrique moscovite ou plutôt l'Afrique moscoutaire. 

                                                                              Le 03 août 2023.               

 

 

Mali   Dès les années '60 et '70, Rachel Carlson, le Club de Rome et René Dumont nous avaient prévenus. Il faut agir ! En vain ... 

 

           Nous, les Vieux, et nos poursuivants !

 

L'heureuse vie ! 

 

Sous les frondaisons des micocouliers et des platanes, sur les terrasses, les plages de Méditerranée et les ports celtiques, sur les ponts des croisières et des rivières, les chemins escarpés des collines et montagnes, sur le sable des déserts exotiques, dans les immenses forêts primaires d'Amazonie, d'Afrique centrale ou d'Indonésie, revisitant le mythe de Tarzan et Jane, dans les salles obscures des cinés, les théâtres à l’affiche ou de poche, les grandes maisons d’opéra, les salles de concerts classiques, de rock, les bals populaires où drague et bière tenaient d'incontournables, les salons de thé et d’écriture, ils sont là et bien là, les futurs Vieux que nous sommes devenus. Impossible de nous rater.  

 

Après l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, les voici réunis sous leur dernière bannière, toujours vaillante bien que plus pâle. La jeunesse niche dans la tête, dit-on, tandis que les artères se nécrosent par le corps. La première laisse la place un jour ou l'autre, l'état des secondes s'impose en général plus tôt que tard. Ainsi va le cycle de la vie; rien ne sera lâché jusqu'à l'extinction des feux.

            

Blancs, poivre et sel, gris, avec peu ou sans cheveux, les Vieux d’aujourd’hui, puisqu’il s’agit de cette communauté importante, qui ont atteint ou dépassé l’âge légal moyen de la retraite en Europe, qui est de 65 ans, et qui peuvent encore courir les allées des petits plaisirs de la vie, sont les têtes couronnées de l’époque, la génération dorée ! D’extraction modeste ou favorisée, ils sont tous des privilégiés.  

 

Regardez-les. La plupart du temps en couple - les solitaires se déplacent dans des univers parallèles - ils sont nombreux à recevoir les bienfaits des Trente glorieuses. Nés après la Seconde Guerre mondiale, dans l’élan libérateur du Baby-boom, ils ont joué et grandi dans une légèreté sociale que le Vieux Continent n’avait jamais connu. Ils ont entrepris des études ou des formations professionnelles en bossant ferme, tout en se permettant parfois de contester la prospérité que leurs aînés avaient créée à la force du poignet. Et pour certains d’entre eux, souvent les mieux nantis, ils ont même craché dans la soupe avec allégresse et violence, en criant "Mort aux cons !", "Sous les pavés la plage ! - ça ne mange pas de pain - pire, l'imbécile "Il est interdit d’interdire !". Prêts pour le Grand soir ...

 

Ils se sont lancés dans l’existence et les responsabilités avec confiance, insouciance peut-être. Dans ces années d'abondance, obtenir un travail n’était en rien une sinécure. Ils ont profité à plein des heures dorées de la croissance. Pendant ces années bénies, les systèmes de santé, particulièrement en Europe de l'Ouest, n'ont cessé de monter en qualité, offrant aux populations et patients des services sanitaires jamais atteints. Les coûts de la médecine de ville, les généralistes, et de la médecine en hôpital, les spécialistes, ont explosé, mettant le financement de la sécurité sociale en difficulté. Reste que les générations nées après-guerre ont été soignées et suivies avec un luxe d'encadrement et de services techniques exceptionnels. Elles ont donc pris l'habitude de ce confort. La crise actuelle du financement des systèmes de santé, couplée au déficit structurel de personnels soignants - le métier d'infirmière, mal rémunéré pour les conditions de travail, n'attire plus - les laissent aujourd'hui dans une forme de désarroi, orphelins d'une époque révolue. Il n'est pas facile de s'habituer à la diète.  

 

La sexualité des années 60', 70' et 80', pour le plus grand nombre, n'a connu ni abstinence ni régime, du pain béni pour hédonistes et jouisseurs. Là encore, les femmes et les hommes nés sous la bonne étoile de l'après guerre profitèrent de circonstances inédites. Une légèreté planait sur les moeurs d'alors, pas encore contaminées par le sida. Même si la suite n'a jamais ressemblé au retour à l'ordre moral, les choses ne furent plus pareilles: la chape de plomb qui s'abattit sur les communautés homosexuelles transforma leur univers en camp retranché. Le monde changea et nous avec.       

 

Mais avant, certes avec des guerres coloniales, la croissance généreuse offrit aux Boomers la possibilité d'acheter voitures, cuisines équipées, frigidaires, lave-vaisselles, lave-linges, électricité et gaz à volonté, vacances en caravane, en amoureux ou en famille, en location ou en seconde résidence. Là encore, la profusion fut la norme. Que dire des week-ends à Rome, Barcelone, Venise, Londres ou Paris et des séjours à New York, Marrakech, Assouan ou Tokyo ? Une belle vie tout de même, entre les servitudes boulot/métro/dodo. Un condensé des grandes vacances et des temps modernes. 

 

Le travail, le statut dans l’échelle des vanités - le titre ainsi que le nombre de fenêtres du bureau attribué était un must - la rémunération furent autant d'attributs qui permirent aux générations d’après-guerre de tenir leur rang et de s'évader. Elles l'avaient bien mérité après tout.  

 

Précisons que le luxe de pouvoir rapidement se transporter n'importe où sur la planète concerne de plus en plus de monde. Rappelons toutefois que plus de la moitié de la population mondiale n'y a jamais eu droit. Et c'est assurément un bien. Imaginez un monde global qui engloutirait les ressources de la terre sur le modèle fini des sociétés développées. Non-sens ! Puisque nous sommes les plus gros consommateurs et les plus gros pollueurs, Américains, Européens et maintenant Chinois, n'est-ce pas à nous, peuples bénéficiant de cette modernité, à faire les efforts nécessaires de sobriété pour que la planète ait une chance d'assurer à l'humanité tout entière un avenir viable ?     

 

Les autres, celles et ceux qui n’avaient pas les sous pour finir dignement le mois, on ne les voyait pas dans les hôtels, les restaurants, les brasseries, les cinémas, on ne les croisait pas dans les lieux de villégiature du sud, de l’ouest et "place to be". On ne les voit et croise toujours pas d’ailleurs. En revanche, avec le temps et le goût des autres, sans remonter aux Sans-culotte, à la Commune ou aux Raisins de la colère, depuis Mai '68, une curiosité médiatique nous a permis de les observer au travers reportages et enquêtes de magazines et de télé: la misère sociale se vend bien. On communie même, davantage avec la pauvreté qu'avec les pauvres, en assistant, militants de la cause, à un film des Frères Dardenne ou de Ken Loach. Le top pour les bobos abonnés aux Cahiers du cinéma, orfèvres de salon en lutte des classes. Et puis, on passe à autre chose, on tourne la page et les talons. 

 

Depuis, l’eau a coulé dans les douches à l'italienne et les piscines à débordement. Les autres, ceux du premier lot, des couches moyennes et supérieures, qui s’en sont sorties avec mention bien ou excellent, grâce à un travail acharné, à l’Etat providence, aux évasions fiscales, à des montants de retraite convenables ou confortables, des placements au Luxembourg, en Suisse, aux Îles anglo-normandes et caïmans, comme sevrés des pleines jouissances d’une existence finalement bien courte par 40 années ou plus de labeur, ils ont voulu rattraper le temps et ne plus le perdre. A marche forcée, ils profitent. 

 

Plus récemment, privés littéralement de vivre par deux ans de covid 19, désormais, ils ont encore plus faim et soif de tout et de partout. Ils consomment à tout va, plein pot. Ils avalent les kilomètres en auto et en avion CO2, en nourritures terrestres. Les Vieux font tourner la machine à billets et à cartes de crédit et de débit. Tous les ministres de l’Economie, des Finances et du Budget leur disent merci.

 

Sans eux, l’économie s'essoufflerait, les banquiers, les assureurs, les notaires, les inspecteurs des impôts, les fonds de pension, les indépendants de la restauration, les personnels de la culture, les gestionnaires du patrimoine et de l’industrie du tourisme seraient en berne. Le savent-ils ? Bien sûr qu’ils le savent et ils les choient (produits ciblés à cette clientèle de jouvence), conscients que les Vieux, leurs revenus et leurs économies déclarées ou non sont, non pas la cerise sur le gâteux, mais le gâteau sur la cerise. On les célèbre comme la nouvelle noblesse de la consommation de masse.

 

Un bonheur au prix fort !

 

Mais, car il y a un mais, les Vieux et leur corne d’abondance quitteront bientôt inévitablement cette terre, le plus tard possible. Ils laisseront derrière eux, au mieux une empreinte de soufre, plus certainement une traînée de poudre. Le monde qui vient ne sera pas le monde qui part. Loin s'en faut. 

 

Voyons cela. Si vous entrez dans des toilettes étrangères, une inscription vous demande quelquefois de laisser le lieu aussi propre que vous l’avez trouvé. Eh bien, le monde que les Vieux laisseront, que nous laisserons, avec les informations et les données dont nous disposons à présent, risque de ressembler à une descente aux enfers. L’allégorie dantesque pourrait se réaliser dans le courant du  XXIème siècle.

 

N'abandonnons-nous pas aux plus jeunes ainsi qu’à leurs proches et lointains descendants une nature largement et intensément altérée, blessée, détruite en nombre d’endroits du globe ? Océans, forêts, montagnes, l’air ambiant, l’eau consommée et gaspillée sont désormais atteints durablement par la pollution atmosphérique des carburants fossiles, par nos déplacements compulsifs et nos foyers passoires thermiques, par des industries toxiques et chimiques. La maladie universelle des plastiques, qui a envahi tous les fonds marins, asphyxie l’oxygène des mers et détruit chaque année par milliards plancton, poissons, tortues, dauphins. Toute la chaîne alimentaire en est investie jusqu'à nos estomacs. 

 

Nous assistons, quasiment en silence, probablement celui de la honte, à la destruction systématique des biotopes essentiels. La planète belle et vivante qui fut la nôtre, si seule et singulière dans notre système solaire, voire dans l’univers, la planète bleue, photographiée à l'unisson par les astronautes de la station spatiale internationale, comme pour nous préparer à une nostalgie insupportable, la planète terre, où l’humanité aurait pu vivre décemment, en bonne entente entre les différents écosystèmes naturels et humains, est en train de dépérir. Elle ne disparaîtra pas avant 5 milliards d’années, pas avant son implosion sous la puissance énergétique de notre étoile. Qu'en restera-t-il d'ici là ? Comment les êtres humains à venir vont-ils faire pour survivre en zone cataclysmique ?

 

Si rien n’est fait radicalement d’ici quelques années - les scientifiques du GIEC parlent de 2030 - et pour les siècles à venir, la terre ne pourra plus nous protéger et nous nourrir collectivement. Le réchauffement climatique engendre catastrophes sur catastrophes: montée des océans, submersion marines, inondations tragiques, sècheresses dévorantes, méga-incendies. N'en sommes-nous pas les témoins et les victimes directes, en Asie, en Océanie, en Afrique, en Europe et aux Amériques ? 

 

Que faisons-nous individuellement et collectivement ? Les gouvernements ont bougé, mais ils n’agissent pas assez vigoureusement et courageusement, malgré des progrès réels et la mise en place d’outils de recherche et d’étude, tel le GIEC. Aujourd'hui même, lors de la présentation de son plan de "réindustrialisation de la France", le président, Emmanuel Macron, n'a-t-il pas osé déclarer qu'il fallait "faire une pause réglementaire" dans les efforts environnementaux de l'Union européenne ?

 

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat est un thermomètre efficace et précis, doublé d’une  compétence diagnostique performante. Il n’est en rien un remède en lui-même, une thérapie magique. Il révèle nos défaillances, nos carences et nos fautes contre la nature et contre nous-mêmes. Sans l’intervention et l’action de chacune et chacun, rien ne changera. 

 

Heureusement, une grande partie de la jeunesse a compris l'importance des enjeux et des défis auxquels l'humanité est confrontée. Elle se mobilise largement et tourne aussi son regard vers les anciennes générations, vers les Vieux que nous sommes. Ils disent: qu'avez-vous fait pour empêcher cela, alors que vous saviez ou que vous ne vouliez pas savoir ? Qu'est-ce que vous nous léguez ? 

 

Qu'avons-nous fait en réalité, si ce n'est hérité d'une naissance au bon moment et au bon endroit ? Si ce n'est jouir d'une période de croissance et d'un système des retraites par répartition qui nous est encore favorable, mais dont chacun sait qu'il n'est plus viable tel quel à terme ?   

 

Les Vieux d’aujourd’hui ne sont évidemment pas seuls responsables du désastre. Celui-ci vient de loin, de la révolution industrielle, de l'intensification productive et de l’accélération de nos modes de vie voraces. Mais les Vieux ont eu maintes occasions de savoir. Nous savions. En 1962, Rachel Carson, une zoologiste américaine, a publié un essai intitulé "Printemps silencieux", dans lequel elle alertait l'opinion publique internationale sur l'état inquiétant de la biodiversité et de sa mort programmée. Dans les année’70, le Club de Rome a diffusé chaque année un rapport factuel et détaillé sur la pollution mondiale et le réchauffement climatique. René Dumont, écologiste avant l’heure et candidat à l’élection présidentielle française de 1974, n’a cessé d’interpeller les Français et les Européens quant aux conséquences écologiques dramatiques d'un mode de développement effréné

 

Oui, nous savions, nous les Vieux, et nous n'avons rien fait ou si peu. Nous nous sommes assis sur ces rapports, nous avons ignoré tous les lanceurs d'alerte de l'époque et ceux qui ont suivi, au temps où nous étions jeunes, dans la force de l'âge, en capacité de changer, si pas le monde, du moins ses déviances mortifères. Depuis, n'avons-nous pas persisté et signé notre forfait ? Nous sommes arrivés à l'ultime terme de l'existence, avant que la confusion mentale, les limbes cérébrales et l'immobilisation forcée ne nous gagnent et ne finissent par nous achever, nous, les Mamy et Papy boomers.

 

Reste à espérer que l'explosion des naissances après 1945, qui fut une chance pour la prospérité, et que la somme des petites et grandes lâchetés ne précipite pas, de manière irréversible, nos poursuivants dans un chaos ingérable. Ce serait ajouter aux fruits du hasard et des nécessités, dont nous ne sommes comptables que pour la partie du libre arbitre, une irresponsabilité ontologique. Pour la contingence, n'avons-nous pas tous bénéficié ou payé le prix de ses carrefours aléatoires ?   

 

Chacun se dira peut-être avoir fait assez, "comme j'ai pu". Il ne serait pas juste de faire porter le chapeau et le fardeau sur le seul individu. Mais nous pouvons reconnaître avec lucidité que nous sommes toutes et tous coresponsables. Remords et regrets n'y changeront rien. Le procès en accusation qui est porté directement ou de manière subliminale contre nous, les Vieux, nous semble cependant légitime. Il devrait appeler nos générations à un examen de conscience. Nous ne serons jamais jugés par un tribunal pénal. Mais il est probable que l'Histoire retiendra de notre passage un bilan contrasté et sévère. Cela ne nous empêchera pas de dormir ce soir et de mourir un jour. Quoi qu'il en soit, demain, l'énormité des pertes risque de renvoyer tout profit aux calendes grecques. Le 11 mai 2023.