Champ & Contre-Champ: L'antisémitisme et les bas instincts

Champ & Contre-Champ

 Je comprends parfaitement les personnes qui ne sont pas intéressées par la question de l’antisémitisme. Ce sujet les indiffère ou les embête, ne sachant démêler la dimension religieuse de celle de la culture, voire du politique. Je reconnais que tout cela n’est pas simple. Et pourtant, la haine du judaïsme, dans un premier temps, d’essence chrétienne, puis des Juifs, en tant que personnes, de l’extrême droite aux islamistes, en passant par l’extrême gauche, hante et pourrit notre histoire au moins depuis 2000 ans.

 Après tout, comme dirait l’autre, n’est-ce pas un peu de leur faute ? Ne l’ont-ils pas cherché quelque part ? Voyons les remarques, objections et préjugés rencontrés couramment.

 Voici ce que j’entends: Dans l’Antiquité, ils ont rejeté le paganisme comme pratique idolâtre et généralisée, s’excluant dès l’origine du reste de l’humanité. Ils ont préféré s’en remettre à un Dieu unique, quelle provocation dans un monde mono-polythéiste – voyez ce qui est arrivé au jeune Pharaon Akhenaton – un Dieu d’abstraction, invisible, infini et donc ouvert à une certaine vacuité. Allez comprendre comment on peut aimer un Dieu qui n’a pas de représentation matérialisée. Ils ont aussi renié le statut messianique de Jésus, pourtant un des leurs, donnant là l’occasion d’être persécutés tout au long du Moyen-Age et au-delà.

 Ils s’obstinent à appeler la Bible la Torah, et se permettent d’en faire des commentaires critiques nombreux et contradictoires. Ils appellent ça la Mishna, qui donna suite à la Gémara et au Talmud. Allez vous y retrouver dans cette complexité sans nom, en vérité, bien juive.

 Et cette obsession de la singularité; quand il eut été si facile d’abandonner pratiques étranges et symboles abscons. Je ne vous parle pas de leur incapacité à être assimilés par la majorité. Car enfin, se prétendre le peuple élu et ainsi se mettre au-dessus de la mêlée, c’est assurément tenter le diable.

En disant cela, je ne suis pas antisémite pour autant. Passe encore leur folklore et leur musique, mais ils m’énervent avec toutes leurs simagrées. Et que dire du soutien inconditionnel des Juifs à l’égard d’Israël ? Je ne supporte pas ou plus "la politique des Juifs" au Moyen-Orient, cette manière qu'ils ont de traiter ces pauvres Palestiniens.

 

Commençons par la fin, le peuple palestinien n’a pas d’origine historique. Il s’agit d’une sous-composante du peuple arabe, appelée dans l’Antiquité Philistin, communauté tribale, comme tant d’autres, d’éleveurs de chèvres, de brebis et de vaches. La Palestine est le vocable employé par l’empereur Hadrien (Provincia Syria Palaestina), en 132, qui supprima toute référence à la Judée, afin de punir les Juifs de leurs révoltes (la guerre des Zélotes, 1er siècle, de Kitos, 2è siècle), à l’égard de l’occupation (voir « La guerre des Juifs », de Flavius Josef). Le patronyme « Palestine » qualifia ensuite cette région du Moyen-Orient, sans pour autant renvoyer à un peuple palestinien inexistant, qui plus est, à un quelconque Etat palestinien. Que du contraire, au XVIIIè siècle, il était courant de désigner les Juifs de « Palestiniens » (voir à ce propos « Anthropologie du point de vue pragmatique », d’Emmanuel Kant.

 Revenons à nos objections premières relatives au judaïsme. Le monothéisme du judaïsme laisse le croyant libre de sa représentation mentale, quand cette représentation ne se réduit pas à un espace fluide et poreux, entre croyance, agnosticisme et athéisme. Seules demeurent, et encore, pas toujours, des pratiques culturelles autant que cultuelles et communautaires, diversement inspirées des mitzvot mosaïques (selon la tradition, les commandements reçus et donnés par Moïse au peuple hébreu). Diversement, car plusieurs traditions et lecture traversent le peuple juif, allant des ultras-orthodoxes aux laïques, en passant par les orthodoxes, les conservateurs et les libéraux.

 Ensuite, le Talmud, somme gigantesque et dialectique qui pratique le libre examen avant la Lettre, ouvre grandes les portes de l’interprétation du Texte, de sa contextualisation, de son historicité et donc du refus de tout dogmatisme et glaciation. Rien n’est figé dans le marbre, tout est mouvement parce que la vie est mouvement. Qui peut en dire autant dans les traditions religieuses ?

Quant à Jésus, chacun sait qu’il ne souhaitait pas fonder une nouvelle religion, encore moins une nouvelle Eglise, tout juste une nouvelle communauté de foi (les sectes juives sont nombreuses à l’époque). Il veut réformer la pratique du judaïsme (lui-même pratiquant assidu de la Loi juive), réformer, voire supprimer la manière dont les grands prêtres sadducéens du Temple de Jérusalem (le Grand Prêtre Caïphe) exerçaient leur magistère. L’épisode des marchands du Temple est parlant, car, à l’occasion des grandes fêtes juives, telles que Kippour et Pessah, le commerce (du bétail, entre autres) cohabitait avec la pratique religieuse, ce qui, pour un homme aussi spirituel que lui, probablement un Essénien du désert, était insupportable. Ceci explique en partie leur confrontation (voir l’Evangile de Mathieu 21.17). Cette opposition, autant liturgique que théologique, est par la suite instrumentalisée pour prétendre que les Juifs sont responsables de son procès romain et donc de sa mort. On connaît la suite.

 Rappelons également que l’Eglise romaine, après presque trois siècles de vifs débats quant au statut de Jésus, une fois religion d’Etat, après la conversion de l’empire romain au christianisme par Constantin, en 313, décide, lors du concile de Nicée de 325, convoqué à l’initiative de l’empereur, par un vote des évêques, qui risque de fracturer l’Eglise entre les partisans de l’essence divine du Christ et les fidèles à l’humanité de Jésus, représenté par le prêtre Arius, qui soutient la simple filiation entre le Père et le Fils, que Yéchou’a bèn Yosséf, Jésus, est bien fils de Dieu, Dieu lui-même, réunissant en son corps spirituel le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

 Afin de légitimer cette trinité, ils élaborent le concept, quelque peu polythéiste, de consubstantialité de l’essence du Christ (les trois ne font qu’un). Dès lors, les Juifs, qui ne reconnaissent à Jésus que le statut d’homme martyr, sont pourchassés, massacrés, déportés pendant des siècles pour cette seule raison. L’accusation ultime étant le crime de déicide, le meurtre de Dieu, rien que ça, puisque les Juifs, non Pilate et les Romains, avec ou sans le concours du grand prêtre Caïphe, sont coupables de sa mort ignominieuse.

 La Bible, la Torah, ce sont les Juifs qui l’ont écrite dans le sillage d’une longue tradition orale. L’Ancien Testament est le fondement de la Bible, celle-ci n’existe pas sans les cinq premiers Livres du Texte. Le Nouveau Testament est bien la tentative, quasi réussie, de supplanter la Torah, d’abolir l’Alliance d’Abraham avec le peuple juif, pour lui substituer la Nouvelle Alliance, celle du Christ avec son Père.

 L’expression « la nouvelle Jérusalem », chère aux Eglises chrétiennes, ne s’explique que par la volonté de dénier au peuple juif l’originalité et l’antériorité du message du Dieu unique, ne s’explique que par la volonté des Pères de l’Eglise de marginaliser l’acte fondateur israélite du monothéisme.

 C’est l’engagement du peuple hébreu, à la suite de Moïse, le Législateur, pour devenir le peuple juif, le peuple fidèle aux trois patriarches (Abraham, Isaac et Jacob, appelé Israël, le combattant) qui est visé. L’idée est de le remplacer dans l’esprit des croyants par un ersatz construit et diffusé largement. Comment ? En utilisant les contradictions et conflits internes au judaïsme primitif et de l’époque du Christ.  

 Les Douze Tribus d’Israël, en réalité dix plus deux, avec la destruction des deux royaumes d’Israël et de Juda (- 720, par les Babyloniens, et - 586, par les Assyriens) s’émiettent en diverses sectes : les Esséniens, les Karaïtes, les Sadducéens, les Pharisiens, les Samaritains, les Zélotes, les Galiléens, les Nazaréens, les Génistes, les Méristes, les Baptistes, les Héllénistes etc. On peut même affirmer que les Chrétiens du 1er siècle sont une variante et composante juives.

 Le prosélytisme catholique (catholicos signifie universel) de l’Eglise post-constantinienne est avant tout l’affirmation d’une volonté politique romaine visant à renforcer l’unité de l’empire. Théodose amplifie la marche politico-religieuse de Constantin, en consolidant le christianisme comme religion d’Etat. Dès lors, il s’agit de trouver des marqueurs à la « Nouvelle Alliance ». On abandonne le jour du repos, le shabbat du samedi, toujours largement pratiqué dans les premiers siècles, pour le dimanche. La Pâque juive (commémorant la sortie d’Egypte du peuple hébreu) devient la Pâques chrétienne, avec s à Pâques, pour célébrer la Passion et la résurrection du Christ. La naissance de Jésus est fixée arbitrairement quasi à la même date que la fête païenne du solstice d’hiver. Il est établi aujourd’hui que « le Nazoréen » est né au printemps. Le lieu de sa naissance est fixé définitivement à Bethléem, et non Nazareth, comme ce fut très probablement le cas, ainsi que l’affirment nombre d’historiens. L’objectif est de faire coïncider cette venue avec celle annoncée dans l’Ancien Testament du Messie (son origine en hébreu signifie onction).    

 D’où le procès d’illégitimité qui est fait aux Juifs et qui justifie les massacres, déportations et pogroms. La Shoah relève quant à elle à la fois de ce vieux cycle religieux anti-israélite, mais bien davantage de la tentative des nazis de convaincre l’Allemagne, l’Europe et le monde que les Juifs, parce que juifs, ne sont pas pourvus des critères de seuil d’humanité, n’appartiennent pas à l’humanité.  

 Sauf que, quant aux pratiques et symboles du judaïsme, pour les comprendre, il faut se donner la peine de lire les textes et d’observer les pratiques s’y référant. Ainsi, les rituels prennent sens, comme dans toute tradition symbolique, dont la pratique égale la théorie. Rappelons que, contrairement au christianisme, qui est une orthodoxie, le judaïsme est une orthopraxie.

 Quant au peuple élu, cela n’a jamais signifié que le peuple juif était supérieur en quoi que ce soit aux autres peuples. Mais plutôt, selon les textes araméens et hébreux, qu’il était témoin pour l’humanité tout entière de l’œuvre de Dieu. Pour la tradition, le peuple juif est un passeur et un traceur universel. C’est en cela que son témoignage a valeur symbolique. Il est coutume de dire que le Juif est comme le canari dans la mine, il sert de lanceur d’alertes pour tous, dès lors qu’il y a danger et menace pour lui.

 Sauf que, il n'y a pas de "politique des Juifs"; ceux-ci étant un peuple et non un parti politique ou une coalition gouvernementale. Que l'on condamne les choix politiques à l'égard des Palestiniens du gouvernement de droite nationaliste et religieux de Benjamin Netanyahu est une chose légitime en démocratie. Israël est une démocratie et le débat intra-israélien est vif, voire brutal. Mais cette politique est le fruit incontestable d'un processus démocratique de l'Etat de droit israélien, à savoir, des élections libres. Ensuite, elle est l'expression d'une partie des Israéliens et non de tous les Israéliens, juifs et arabes. Enfin, la majorité des Juifs ne vit pas en Israël, mais dans la diaspora, et, parmi ces derniers, tous n'adhèrent pas à la conception des relations qu’entretient le premier ministre israélien avec les Palestiniens. Vous pouvez aimer passionnément la France tout en n’appréciant pas Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Comme tout citoyen en démocratie, chaque Juif n'est pas redevable des décisions du gouvernement de son pays d’accueil ou de celui de Jérusalem.

 Pour ce qui concerne les Palestiniens, faut-il rappeler qu'il s'agit de savoir de quels Palestiniens on parle ? Certains, notamment au sein de l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, se sont engagés dans un processus démocratique de reconnaissance de l'Etat de Palestine. Il faut soutenir cette démarche, sans pour autant perdre de vue que la légitimité et la sécurité d'Israël ne sont pas négociables. D'autres Palestiniens, non des moindres, tel le Hamas, organisation terroriste reconnue par l'Union européenne et les Etats-Unis, qui pactise en sous-main avec l'Etat islamique, fait de la destruction d'Israël son objectif central. Dès lors, comment négocier avec quelqu'un qui veut votre mort ?

 Il faut le dire, le répéter, l’antisémitisme n’est pas une opinion, contrairement à ce que certains discours laissent penser. L’antisémitisme est un délit sanctionné par la loi. Bien davantage, en puisant sa vitalité dans les plus bas instincts humains, l’antisémitisme est une monstruosité morale, puisqu’il fait de la haine viscérale de l’Autre, pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait, le cœur d’un ordre mortifère pour toute l’humanité. Le génocide juif a un précédent, le génocide arménien. Il a un successeur, le génocide rwandais tutsi … 

  Pour ceux qui veulent aller plus loin dans la compréhension de la complexité de l’antisémitisme, je conseille, notamment, de lire ou relire l’essai « Réflexions sur la question juive » de Jean-Paul Sartre. Vous pourrez y lire ceci:

 « (…) L’antisémite fuit la responsabilité comme il fuit sa propre conscience; et, choisissant pour sa personne la permanence minérale, il choisit pour sa morale une échelle de valeurs pétrifiées. (…) C’est en face du Juif que l’antisémite se réalise comme sujet de droit. (…) Ainsi l’antisémite a-t-il ce malheur d’avoir un besoin vital de l’ennemi qu’il veut détruire. (…) Il a la nostalgie des périodes de crise où la communauté primitive réapparaît soudain et atteint sa température de fusion. Il souhaite que sa personne fonde dans le groupe et soit emportée par le torrent collectif. C’est cette atmosphère de pogrom qu’il a en vue lorsqu’il réclame « l’union de tous les Français ».

(…) Les Juifs ont un ami, pourtant: le démocrate. Mais c’est un piètre défenseur. Il proclame que tous les hommes sont égaux en droits, sans doute il fonde la Ligue des droits de l’homme. Mais ses déclarations mêmes montrent la faiblesse de sa position Il n’a pas d’yeux pour les synthèses concrètes que lui présente l’histoire. Il ne connait pas le Juif, ni l’Arabe, ni le Noir, ni le bourgeois, ni l’ouvrier: mais seulement l’Homme, en tout temps, en tout lieu pareil à lui-même. Toutes les collectivités, il les résout en éléments individuels. Un corps physique est pour lui une somme de molécules, un corps social, une somme d’individus. (…) Il s’ensuit que sa défense du juif sauve le Juif en tant qu’homme et l’anéantit en tant que Juif. (…) Cela signifie qu’il souhaite séparer le Juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l’enfermer dans le creuset démocratique, d’où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les autres particules. (…) L’antisémite veut détruire le Juif comme homme pour ne laisser subsister en lui que le Juif, le paria, l’intouchable. Le démocrate veut le détruire comme Juif pour ne conserver en lui que l’homme, le sujet abstrait et universel des droits de l’homme et du citoyen. On peut déceler chez le démocrate le plus libéral une nuance d’antisémitisme: il est hostile au Juif dans la mesure où le Juif s’avise de se penser comme Juif. (…) L’antisémite reproche au Juif d’être juif; le démocrate lui reprocherait volontiers de se considérer comme juif. Entre son ennemi et son défenseur, le Juif semble assez mal en point: il semble qu’il n’ait rien d’autre à faire qu’à choisir la sauce à laquelle ou le mangera. (…) La solution du problème réside-t-elle dans l’extermination de tous les Juifs ou dans leur totale assimilation ? ». Ni l’un, ni l’autre, évidemment.

 Mais la réponse à cette question est toujours problématique pour de trop nombreuses personnes, de l’extrême droite, à l’extrême gauche, aux islamistes. Quand le brun, le rouge et le vert se rejoignent …

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