>Faits d'hiver !

 

Raconter un fait divers n'est pas anecdotique. Il y fait froid, très froid, c'est pourquoi je les appelle faits d'hiver. J'ai souvent observé qu'il était mal traité, ici et là. La presse populiste en fait ses choux gras; le sens y cède le pas au sensationnel. La pensée de salon le renvoie à l'écume des jours. Moi, j'y vois le signifiant, le récit relaté du fait, et son signifié, l'information qu'il recèle, intimement liés. C'est pour ça que je m'y suis attardé plus d'une fois. Simenon, au XXème siècle, d'une atmosphère, d'un profil et d'un crime, dépeint une société, une petite bourgeoisie provinciale en mal d'existence. Au XIXème, Balzac, Flaubert, Zola montrent une noblesse et un clergé s'effaçant de la scène de l'histoire, une bourgeoisie tenaillée par la quête du pouvoir et des sentiments, une classe ouvrière déchirée. Dans chaque vie, les faits divers ne disent leur dernier mot qu'en toute fin de route. Les oubliés et les marquants, les petits et les grands sèment les germes de nos joies, de nos souffrances, de nos peurs, de nos cauchemars et de nos rêves. Ma vie n'y a pas échappé.  

                                           

                               

                                               

                                                       Paroles entendues !

"Lyncher n'est pas acceptable. Il faut respecter la présomption d'innocence. Les crimes sexuels doivent être jugés par la justice !" 

                           Anne Sinclair, 20 h30 de France 2, le 08 mars 2020.                                           

 

 

  Quand on perd son père, on perd la terre.

                                                                    Quand on perd sa mère, on perd la mer.

                                                                                                                                   Quand on perd son enfant, on perd le ciel.

 

 

>L'assassin, le verdict et le 6ème juré ! 

 

 

Barbara avait 25 ans et la vie devant elle. Elle était la soeur de mon ex-épouse, Nathalie, et donc la tante de ma fille, Sarah, qui n'avait que 5 ans au moment des faits. Elle était surtout la fille de Nicole et Willy, mes ex-beaux-parents. Qui dira l'extrême souffrance derrière la pudeur de ces deux êtres détruits ? Ma jeune belle-soeur était comédienne et aimait le théâtre, qui, tôt ou tard, l'aurait fait découvrir. Son petit ami de l'époque, qui la présentait comme un trophée, en a décidé autrement. Dans la nuit du 1er au 2 mai 2001, il l'a massacrée, égorgée et décapitée. Barbara est morte une deuxième fois, en octobre 2003, lors du verdict d'acquittement de son assassin, en dépit des preuves ADN et de ses nombreux mensonges sur son emploi du temps. Barbara a succombé une troisième fois, cinq ans plus tard, lors de déclarations écoeurantes au quotidien flamand, De Morgen, du 6ème juré de la Cour d'assises de Bruxelles. Celui-là même qu'il siégea aux côtés de onze autres citoyens membres du jury populaire. Mes ex-beaux-parents, mon ex-femme et moi-même, partie civile, après le malheur de la perte tragique d'un être cher, avions espéré un procès juste, éclairant, sans faiblesse, car plus que la présomption, avec les enquêteurs, nos avocats et le Procureur général, nous étions habités par la conviction de la culpabilité de l'accusé. Rien ne s'est passé d'attendu dans ce procès, qu'un avocat, pas si étranger à l'affaire, qualifiera plus tard de "biaisé" (*) ... Aujourd'hui, nous savons qu'il le fut gravement. La vérité judiciaire s'arrange parfois avec la vérité. Cet échec de la justice belge, doublé d'une faute majeure, s'est accompagné d'une incapacité à désigner le féminicide dont Barbara a été victime. Pour toujours, nous n'avons que le silence d'un système judiciaire malade, une tombe discrète dans la périphérie bruxelloise et l'absence  pour faire un deuil impossible. 21mars 2017.

 

(*) A l'issue d'un débat à la RTBF sur la cour d'assises auquel je participais, je crois bien que c'était en 2006, animé par le journaliste Olivier Maroy, aujourd'hui député wallon MR, en compagnie notamment de Laurette Onkelinx, ancienne ministre de la justice, Christian Panier, ancien président du tribunal de première instance de Namur, et Bruno Dayez, tout premier avocat de l'assassin, avant que Didier De Quévy et Nathalie Gallant ne reprennent sa défense, l'actuel avocat de Marc Dutroux n'hésita pas à me confier, profitant d'un verre que nous prenions au bar de la chaîne publique, à Reyers, que dans notre procès, je cite, "Il s'était passé des faits graves ... et qu'il a été biaisé ...". Je lui ai demandé de m'en dire davantage, de s'expliquer, mais il refusa et se réfugia derrière le secret professionnel. Oui, mais, pourquoi alors m'avoir balancé comme ça, tout à trac, une phrase lourde de sous-entendus ? En mars dernier, je lui ai téléphoné pour lui rappeler son témoignage en forme de provocation et lui réitérer ma demande. Une nouvelle fois, l'avocat trop ou pas assez bavard, assez satisfait visiblement de son coup, me renvoya dans les cordes d'un tourment qui ne m'a plus quitté. Je ne peux m'empêcher de penser que ce personnage trouble, qui aime se faire mousser, on le voit bien dans son opération de manipulation pour faire libérer Dutroux, ce qui n'arrivera pas, a eu connaissance de faits tels que le verdict n'aurait pas été le même, voire que le procès aurait été cassé, si nos avocats et le président en avaient été informés avant ou pendant le procès. 02 septembre 2018.   

 

 

Le 20 octobre 2010, soit 9 ans après la mort de Barbara, la RTBF a consacré un "Devoir d'enquête" de 55 minutes à son assassinat ainsi qu'au procès d'assises qui s'est tenu en octobre 2003, au palais de justice de Bruxelles (*). Il est apparu que le 6ème juré n'a eu de cesse, par une manipulation écoeurante, que de déstabiliser le délibéré qui a suivi les débats et les témoignages lors de la procédure orale. Bien que les enquêteurs, l'avocat général, tous les experts et nous-mêmes, partie civile, avions la certitude de la culpabilité de l'accusé, car tant son ADN que ses sombres mensonges l'accablaient, le verdict prononcé, à l'époque, sans motivation, le désigna non coupable. Barbara gît six pieds sous terre et l'assassin est en liberté. (*) Sur Dailymotion, le documentaire de la RTBF est disponible sur le lien Reportage - Devoir d'enquête - Le 6ème juré.

 

>Ils bricolent les verdicts !

 

Il y a quelques semaines, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait l’Etat belge, considérant qu’en l’absence de motivation du verdict rendu par le jury de la cour d’assises de Liège, Richard Taxquet, condamné dans le cadre de l’assassinat d’André Cools, n’avait pas bénéficié d’un procès équitable.

 

Depuis, les autorités judiciaires belges cherchent à répondre tant bien que mal aux considérations de la Cour de Strasbourg, en attendant que soit modifiée la loi réglant le fonctionnement de la cour d’assises.

 

Chaque juridiction agit à sa façon, ce qui fait plutôt désordre. Récemment, dans le quotidien flamand "Gazet van Antwerpen", des membres du Conseil supérieur de la Justice estimaient que la manière dont le jury motive son verdict à Gand était plus appropriée que celle dont il œuvre à Anvers. A Gand, les juges professionnels transcrivent la motivation avec le jury populaire lorsqu’ils se concertent ensemble sur la peine à infliger après la déclaration de culpabilité. A Anvers, la cour pose beaucoup de questions complémentaires. D’après certains juristes, ce ne serait pas la meilleure des formules.

 

Quoi qu’il en soit, le débat actuel a entraîné une réaction de Willy et Nicole VO., Nathalie W. et Roland D., parties civiles dans le procès d’assises qui a fait suite à l’assassinat de Barbara VO., égorgée dans la nuit du premier au deux mai 2001.

 

Ce procès, devant la cour d’assises de Bruxelles-Capitale, avait donné lieu, à la surprise de nombreux observateurs, à l’acquittement de l’accusé. La famille de la victime (Roland D. fut membre de la commission de réflexion sur la réforme de la cour d’assises mise sur pied par Laurette Onkelinx, alors ministre de la Justice) avait regretté, en son temps, que le jury ne motive pas ses verdicts et qu’aucun appel ne soit possible après un arrêt de cour d’assises.

 

Elle revient à la charge, à la lueur de l’arrêt de la Cour européenne, mais aussi à la suite de confidences faites voici quelques jours au "Morgen" par un des jurés du procès, lequel a reconnu avoir "instrumentalisé" ses collègues jurés à l’occasion des délibérations. Des rumeurs avaient déjà couru à ce sujet à l’époque, qui semblent donc se confirmer.

 

Quoi qu’il en soit, la famille VO. prend la défense de l’institution du jury populaire mais plaide, comme d’autres, pour une réforme en profondeur de la cour d’assises "réceptacle de bien des fantasmes démocratiques".

 

Une loterie !

 

Selon elle, la cour d’assises est d’abord une loterie, qui fait appel à des jurés la plupart du temps issus des mêmes milieux socio-professionnels et présentant les mêmes profils, auxquels on demande de devenir, en une petite semaine, de quasi professionnels de la justice, amenés à juger les crimes les plus graves sans en avoir les moyens, ni en termes de connaissances, ni en termes de compétences. La famille se plaint surtout que le verdict ne soit point motivé, ce qui implique que ni l’accusé, ni les parties civiles ne savent pourquoi on en arrive à un acquittement ou à une condamnation. Elle regrette aussi l’absence de possibilité d’appel. "Imaginons que l’appel n’ait pas existé en France. Dans le procès d’Outreau, les personnes condamnées en première instance n’auraient jamais retrouvé l’honneur et la liberté", relèvent les membres de la famille VO., qui ont demandé audience au ministre de la Justice. Pour elle, il est temps de mettre la justice belge en conformité "avec les droits des justiciables, la transparence des procédures et la vitalité d’une authentique démocratie".

"La Libre Belgique", le 10 février 2009.

 

 

M. et Mme WILLY VO. et NATHALIE W., parents et soeur de Barbara, assassinée !

 

Au moment où siège la commission chargée de réfléchir à l'avenir de la cour d'assises en Belgique, les opinions diverses vont bon train et ne manquent pas de troubler les esprits. Etre pour, être contre? Pour un statu quo, une réforme ou une suppression ?

 

A l'écoute des divers arguments, nous sourions doucement car, s'il y a une chose que nous avons eu le malheur d'apprendre, c'est que pour avoir un avis cohérent sur la cour d'assises, il faut y avoir été confronté.

Nous allons vous parler ici du procès de l'homme accusé de l'assassinat de notre fille et soeur et qui s'est vu acquitté... parce qu'il a eu de la chance dans le choix des jurés !

 

Barbara avait 25 ans. Elle était lumineuse de sa force de vie. Elle a été massacrée ... 

 

Après une enquête fouillée, après une détention préventive continue de 29 mois de l'accusé (il faut savoir que tous les mois, une chambre de conseil réévalue les détentions préventives pour à chaque fois décider si elles sont justifiées ou pas, au vu des développements des enquêtes), après les divers rapports et expertises (ADN, médecine légale, polygraphie, psychiatrie, téléphonie, etc.), après les conclusions plus qu'accablantes de la police fédérale et du juge d'instruction sur la culpabilité de l'accusé, tout concordait pour faire condamner et enfermer cet individu pendant de longues années et en protéger ainsi la société.

 

Or, que s'est-il passé ?

 

Comme toujours, au commencement du procès, un groupe de douze personnes a été désigné au hasard; c'est le principe du jury d'assises.

Sans vraiment choisir leur sort, ces douze personnes ont été amenées à écouter, comprendre et emmagasiner une quantité impressionnante d'informations, des plus simples aux plus compliquées, en un temps extrêmement court et sans droit d'accès au dossier. Et, au bout de tout ça, s'engager à décider si, sur la base de cette masse d'éléments purement oraux et plus ou moins assimilés, l'accusé était coupable ou non.

 

Ces personnes étaient des gens comme vous et moi, qui n'ont en général, malgré leur bonne volonté, aucune formation juridique, même basique, ni aucune formation d'autre sorte en lien avec cet acte solennel qui est de devoir juger un homme.

 

Et c'est normal, car juger est vraiment un métier en soi !

 

Dans notre cas, il nous est revenu qu'un des jurés a pris une vraie ascendance sur le reste du groupe, si bien qu'il s'est efforcé pendant les débats d'exercer son influence, pour déstabiliser les autres membres et même jouer de pressions auprès de certains, à tel point qu'un autre juré a souhaité une assistance psychologique.

 

Parallèlement à ça, et au vu des questions parfois naïves des jurés, il nous semblait aussi de plus en plus évident, au fil du procès, que des éléments importants n'avaient pas été compris par les jurés, ce qui était plus grave.

Au verdict, une seule question a été posée: «L'accusé ici présent est-il, selon vous, coupable des faits qui lui sont reprochés?» Une seule réponse est tombée: «Non, monsieur le président.» Point. Au revoir et merci.

 

A l'issue de tout ça, nous sommes restés abasourdis, et le mot est faible, écrasés par ce lourd sentiment d'avoir participé à une grande loterie et pour laquelle nous n'avions tout simplement pas eu de chance. Or, il s'agissait d'un assassinat, pas d'un vol de voiture ou d'un litige entre locataires, d'un assassinat !

 

Il faut imaginer qu'à une semaine près du calendrier prévisionnel de la cour d'assises, nous aurions eu d'autres jurés désignés, qui auraient pu réagir d'une manière complètement opposée, comme, par exemple, condamner l'accusé à 30 ans. Et ce principe même de Justice aléatoire est inacceptable.

 

Dans notre cas, l'«erreur judiciaire» a été précisément perpétrée par le «peuple», et non par la Justice elle-même. En effet, tous les professionnels du droit, depuis les enquêteurs jusqu'aux magistrats, tous savaient et plaidaient pour la culpabilité de l'accusé. Or, ces professionnels du droit sont sans pouvoir face au jury souverain, et ils n'en ont pas cru leurs oreilles à l'écoute du verdict d'innocence retenu par le peuple profane, qui n'a même pas été tenu de se justifier de ce choix insensé.

 

D'aucuns pensent que c'est précisément l'incompétence des jurés qui donne toute la légitimité à leur fugace mission. Nous trouvons cet argument absurde. Un juré, sans réflexe professionnel, sans réelle capacité d'analyse et de qualification technique, jugera principalement dans la limite de son affectif et de ses émotions, de ce qu'il est à ce moment-là, de ses expériences de vie et de rencontre (par exemple, l'accusé peut lui rappeler une personne sympathique ou antipathique), et c'est normal. C'est normal et humain, mais inacceptable dans le cadre d'une cour d'assises où l'on juge les crimes les plus graves.

 

Au regard de cette douloureuse expérience, il nous paraît incontournable de moderniser ce système obsolète du peuple qui juge le peuple. Le jury d'assises n'est d'ailleurs pas représentatif de la société. Il faut arrêter les fantasmes d'une Justice partiale et de peuple intègre par définition. Il faut arrêter de désigner des personnes au hasard pour jouer à l'apprenti justicier. Le principe de loterie humaine pour juger des criminels n'est pas digne d'un Etat de droit comme le nôtre.

 

Sans jusqu'à proposer la suppression pure et simple de la cour d'assises, car les esprits ne nous semblent pas encore mûrs pour cela, il nous paraît toutefois essentiel d'au moins la réformer. A l'instar d'autres pays européens, nous pensons qu'il serait plus juste que les jurés soient accompagnés par des professionnels du droit, les magistrats de la cour, qui soient partie prenante à la délibération. Leur présence permettrait d'aider les jurés, de répondre à leurs questions, de les écouter, d'empêcher toute dérive due à un élément perturbateur. Pourquoi, par exemple, ne pas imaginer un échevinage composé de 12 jurés et de 3 magistrats, ce qui permettrait malgré tout aux jurés de rester majoritaires au sein du jury ?

 

Ensuite, nous proposons une révision de l'article 352 du code d'instruction criminelle, qui prévoit la possibilité pour la cour de faire renvoyer l'affaire à la session suivante en cas de condamnation erronée d'un innocent. Il nous paraît important d'élargir cette possibilité pour le cas d'un acquittement manifestement biaisé.

 

En outre, il nous semble important que, pour tout verdict (acquittement ou condamnation), les deux parties sachent pourquoi un tel choix s'est imposé et que les jurés soient tenus de motiver leur décision (c'est le cas pour le tribunal correctionnel et, au-delà, pour toute juridiction: le juge doit motiver sa décision). Motiver oblige à plus de réflexion sur la justesse d'un sentiment ou d'une conviction. Motiver, c'est aussi faire acte de transparence, et donc de démocratie. Dans ce cadre, seuls des magistrats auraient la qualification de rédiger en droit la, ou les, motivation(s) qui ont amené au verdict, ce qui rejoint la proposition d'échevinage.

 

Enfin, une possibilité d'appel restreint (car l'appel en cour d'assises n'existe pas en Belgique) ne serait applicable que dans les cas où l'erreur judiciaire d'acquittement ou de condamnation est évidente et liée à une mauvaise interprétation des faits. Et, autre élément qui nous paraît essentiel, la mise à disposition du dossier pour le jury dès l'ouverture du procès, et non uniquement en délibération serait souhaitable afin qu'il puisse vérifier à tout moment toute information utile à la bonne compréhension des faits ou pour, par exemple, valider (ou non) une déclaration orale.

 

A la lecture et à l'écoute de tout ce qui se débat autour de cette idée de réforme, nous constatons que les avis sont vraiment partagés; les intervenants sont en général «très pour» ou «très contre» une réforme, et nous nous inquiétons qu'il n'existe pas un véritable espace juridique et politique pour la modernisation de la cour d'assises. Il nous semble que les «pour» et les «contre» se retrouvent finalement alliés objectifs en la matière, car ces deux parties ne déclarent-elles pas que la cour d'Assises est finalement un tout cohérent, qu'il ne faudrait peut-être pas réformer, mais soit supprimer, soit laisser comme telle? Nous pensons au contraire qu'il est important de ne pas paralyser les idées et d'aller de l'avant face aux carences et béances de la cour d'assises et que l'on peut tenter de la rénover.

 

La Justice humaine n'a jamais été et ne sera jamais une science exacte car elle est l'instance par définition où se côtoient le mensonge et la vérité sans distinction. Il est d'autant plus important d'essayer de la faire évoluer et de l'améliorer pour qu'elle soit davantage cohérente et institutionnalisée, notamment entre tous les arrondissements judiciaires belges.

 

Il y a des hommes et des femmes professionnels qui participent honnêtement à l'oeuvre de justice tous les jours. Une véritable refonte des assises, dans l'esprit d'une participation citoyenne éclairée, en collaboration et en confiance avec le monde judiciaire, nous semble un nouveau garant d'une Justice enfin réconciliée avec ses citoyens. "La Libre Belgique", le 24 février 2005.

 

 

>Marie Trintignant victime d'un féminicide vite oublié !

 

A Marie Trintignant,

A Barbara.

À leurs sœurs massacrées

dans le silence et l’indifférence.

A celles aussi qui ont ont repris le chemin de la vie.

 

Du rouge aux lèvres

 

Elle a du rouge aux lèvres et du vert dans les yeux

Elle a du sang qui coule sur sa blouse déchirée

Elle a rougi ses rêves brûlés entre les bleus

Elle a saoulé l’espoir par ses larmes fatiguées

 

Cassée elle n’en peut plus de sa main en marteau

Quand il tonne à grand coups sur le bois de sa peau

Le corps qui n’en peut plus du fardeau de l’étau

Le cœur qui rend larmes tout au bout du rouleau

 

C’est une onde de la vie une ombre dans la nuit

Qui passe tout à côté sans un cri et sans bruit

Elle ne sait où s’étendre et parler de ses cendres

Elle ne sait où se rendre et marcher ou se pendre

 

Elle a perdu le monde à force de ne rien dire

Elle a des souvenirs mais plus aucun projet

Elle a vécu l’immonde seule à le maudire

Elle a pour tout sourire son enfance en portrait

 

Faut-il continuer faut-il abandonner

La vie est un combat la vie n’existe pas

Et Dieu barricadé l’a-t-il seulement aidée

Lorsqu’elle demanda de ne plus avoir froid

 

C’est une longue nuit une ombre qui nous fuit

Elle ne dérange personne car personne ne le sait

Qui passe à nos côtés sans un cri et sans bruit

Elle a mal à sa vie et sa vie qui la hait

 

A l’aube dans la ville une voix s’est approchée

Sur un banc passager de l’enfer elle sortit

Mi-closes les paupières pour un peu déridées

Se sont entrouvertes sur un visage qui sourit 

 

Petite sœur lui dit-il je vois ta grande peine

Nous sommes tes amies sans glaive et sans gloire

Renoncer à renaître n’est pas dans nos gênes

Cette folle pensée à laquelle il faut croire

 

C’est un monde adouci c’est une ombre une envie

Qui passe à son côté sans un cri et sans bruit

Elle a choisi de dire et d’entendre sa lésion

Elle a pour cette raison retrouvé le frisson

 

Le temps de prendre le temps à refaire les chemins

A comprendre le pourquoi à saisir le comment

La souffrance partagée jusqu’au sens du chagrin

L’innocence coupable jusqu’au dernier moment

 

Elle a du rouge à lèvres et du vert dans les cieux

Elle a du sang qui coule dans ses veines gonflées

Elle a sorti ses rêves et veut y croire pour deux

Elle a trinqué ce soir à ses armes déposées

 

Uzès, le 15 août 2003.

 

 

 

>Louise, ma petite Française au sourire si doux !

Rien ne change, les hommes barbares perpétuent leurs crimes en toute impunité. Ce 9 octobre 2017, une jeune femme, qui ne demandait qu'à vivre, a été massacrée par un voisin de 54 ans dans un quartier populaire de Liège. Ce "fait divers", qui nourrit la chronique journalistique et le voyeurisme lambda, a bouleversé les Liégeois, qui se demandent, une nouvelle fois, qu'a fait la police pour éviter ce drame ? Car le meurtrier est un récidiviste connu des services de la justice et la victime, harcelée à plusieurs reprises par l'individu, avait signalé les faits aux autorités policières. En vain ! L'assassinat de cette jeune française de 24 ans m'a fortement choqué. Voici un peu plus de deux ans, je me suis rendu dans un magasin de literie, afin d'acquérir un lit et deux matelas pour équiper une chambre d'amis de la maison. J'ai sympathisé avec trois personnes, une jeune femme, sa maman et son papa, qui venaient d'acheter un matelas pour équiper le nouveau kot de leur fille. Les parents débarquaient du Mans, dans la Sarthe, leur voiture était pleine, ils m'ont demandé de prendre en charge Louise, leur fille, et de les suivre en voiture jusqu'à l'adresse liégeoise où elle venait de louer sa chambre d'étudiante, rue Bas-Huez, dans le quartier de Longdoz-Amercoeur. Je me souviens leur avoir dit, je ne sais trop pourquoi, sans doute le souvenir d'échos lointains, que ce quartier n'était pas très safe. Nous avons longuement échangé, sur la Cité ardente et son ambiance festive, sur l'amour de la France. Ils me disaient combien ils étaient heureux que Louise s'épanouisse à Liège et poursuive avec succès des études en médecine vétérinaire à l'université, au Sart-Tilman. Louise terminait sa 1ère Bac et s'apprêtait à entrer en Bac 2. Lors de cette rentrée 2017, elle venait de commencer sa 1ère Master, soit sa 4ème année. Elle avait ainsi franchi les grandes murailles des premières années de ces études si difficiles. Je ne les ai plus jamais revus. A l'annonce du meurtre atroce, j'ai d'abord hésité à reconnaître ma petite française. Après avoir recoupé quelques informations, il m'est apparu qu'il s'agissait bien d'elle. Je n'ai pu retenir mon émotion. J'ai repensé à Marie Trintignant, à Barbara, pas la chanteuse, et à tant d'autres femmes, massacrées par des compagnons ou des étrangers ivres de leurs pulsions et de leur violence, incapables de s'approprier cette phrase si juste d'Albert Camus: "Un homme, ça s'empêche !". Louise avait toute la vie devant elle. Jamais, je n'oublierai son doux sourire, sa gentillesse et sa joie d'être liégeoise pour quelques années. 

Le 13 octobre 2017.

 

 

 

>Certains découvrent la lune !

Depuis le début, l'enquête sur les tueurs du Brabant pose question, car, quels qu'ont été les enquêteurs depuis 34 ans, elle est apparue douteuse, voire orientée. De 1983 à 1985, les attaques meurtrières dans les magasins Delhaize firent 28 morts et de nombreux blessés. A l'aune des récentes révélations (*), il faut s'intéresser à l'épisode de l'attaque militaire, sous couvert d'un exercice commun de l'OTAN, de la caserne de Vielsam, en mai 1984, où un militaire belge fut tué, le sous-officier de garde, Carl Fresches. A l'occasion de cet "entraînement", des armes de combat ont été volées et des traces de ces armes, des douilles, semblent avoir été retrouvées plus tard sur d'autres scènes de crime. Il serait utile d'analyser de plus près, enfin sans tabous, la présence de gendarmes de l'ex-Brigade Diane lors des attaques des magasins Delhaize et les relations que l'Etat-major de la gendarmerie de l'époque, pour ne pas le nommer, le général Baurir et son entourage direct, entretenait avec des membres de la Sûreté de l'Etat ainsi que certains truands. Le témoignage interpellant du frère d'un des présumés meurtriers confirme ce que l'on savait, et non supposait, depuis longtemps; à savoir, le rôle joué par un groupe de gendarmes d'élite dans cette tragédie. Mais il faut voir cet épisode de plus haut et de plus loin. Relisons ce passage du livre d'investigation de Jean Mottard, avocat et homme politique liégeois, et René Haquin, journaliste au "Soir" de Bruxelles, tous deux décédés, "Les tueries du Brabant", Editions Complexe, 1990: "(...) L'ancien gendarme Lekeu et d'autres ont parlé d'une tentative de coup d'Etat. On trouve des indices qui donnent à penser à une oeuvre de longue haleine, orchestrée peut-être de l'étranger, destinée à contraindre le pays à se restructurer sur le modèle voulu par ceux qui ont organisé le complot. (...)" Il ne serait pas inutile non plus de mettre en parallèle les événements tragiques que se sont passés en Italie et en Belgique au cours des années fin '70 et '80. L'existence dans ces deux pays du réseau "Gladio", mis en place clandestinement après la Seconde Guerre mondiale, afin de pouvoir faire face à une éventuelle invasion des chars soviétiques. Les deux "ventres mous" de l'OTAN à l'époque, chacun le savait, c'était précisément l'Italie, où l'accession au pouvoir des communistes d'Enrico Berlinguer, en alliance avec la Démocratie chrétienne d'Aldo Mauro, le fameux "compromis historique", devenait possible, et la Belgique, Etat considéré comme déliquescent à Washington, gangréné à la fois par une guerre communautaire Nord/Sud et des syndicats marxistes, ne présageait rien de bon pour la solidité des forces atlantiques européennes. Les Brigades Rouges d'un côté, l'assassinat, entre autres, du président de la Démocratie chrétienne; l'extrême droite noire de l'autre et l'attentat de la gare de Bologne, qui fit 85 morts et plus de 200 blessés. Les Cellules Communistes Combattantes (CCC), avec l'attentat, parmi d'autres, contre le siège du patronat à Bruxelles, qui fit deux morts, deux pompiers; les Tueurs du Brabant wallon dans les magasins et sur les parkings Delhaize, dont on connait le bilan. A y regarder de plus près, les années qui suivirent ces séries d'attentats coïncident à Rome comme à Bruxelles avec l'augmentation très sensible des budgets alloués aux forces de l'ordre, Polizia di Stato et Gendarmerie, dès lors toutes deux considérées comme un Etat dans l'Etat sans réel contrôle démocratique. Pour la Belgique, il n'est pas inutile de rappeler que quelques années plus tard, le ministre socialiste flamand de l'Intérieur, de 1988 à 1994, Louis Tobback, proposa et décida de désarmer la gendarmerie, jugée trop dangereuse, elle-même fusionnée et donc dissoute par après avec la Police fédérale en 2001 ... Cherchez l'erreur. 23 octobre 2017.

(*) Un homme de Termonde, Flandre, a affirmé, en décembre dernier, que son frère, un certain Christiaan Bonkoffsky, décédé il y a deux ans, ancien membre de la Brigade Diane de la gendarmerie, sur son lit de mort, lui a confié qu'il était l'un des tueurs recherchés, mieux connu sous l'appellation du "géant".

 

>L'impact !

 

Non pas soucieux. Encore moins préoccupé. Grave. Silencieux. Grave à ne plus regarder passer la vie. Silencieux à combler sèchement le regard des passants, au-delà de l'indifférence, là où elle ne se pense plus. La nausée. La nausée lui venait d'en-bas, des sous-sols de son être, escaladant son corps fermé pour cause d'errance. En lui, le provisoire était dense, dense au point d'en repousser l'espace conquis. La conquête n'avait plus de limite. La nausée était définitivement provisoire. Courte, la respiration courte, étroite au plexus, douloureuse au passage; elle courait les allées du mouroir qui l'habitait. 

Le soleil donnait, le visage recevait la lumière distillée, mais le regard ne se réchauffait pas, oublieux même de l'absence du sens. Le sens d'un printemps venu sur un visage échauffé. La venue d'une saison qu'il ne savait plus, réjouissante pour les autres. Les pas, les pas des autres, pressés tout autour. Les pas, jamais rassasiés de points de chute, frappaient en décadence sa poitrine, marquetant en elle les signes de suffocation et d'abandon. Dire l'oppression n'est rien, mais la vivre ...

C'était la guerre, sa guerre, perdue d'avance, guère plus qu'une avancée du chaos. La guerre des petits, la petite guerre des riens, des petits riens affichés aux tabloïdes, les journaux passe-temps. 

De grands murs s'étaient écroulés, de grands hommes s'activaient d'outre-tombe à construire des légendes. La sienne s'était effondrée au pied de sa muraille, bâtie, jadis, au fil d'un chemin maudit, bâtie en tourelle inviolée. Elle l'avait écarté du monde, d'un monde où partager demandait trop d'efforts. Immense et beau mur qui le protégeait des sursauts de la nausée qui le travaillait déjà. Il vivait, étranger à lui-même, survivait du bout du monde, là où personne ne fait face et regarde.

Soudain, très vite, l'aspiration profonde, comme une apnée furtive, puis son grand bleu, sa plongée totale, la course vers la rencontre, avant l'expiration. Le souffle long et puissant, le cri, le seul, le bonheur en fin, enfin le bonheur, qui redonne allure à son âme. Brisé le mur, brisé, brisé le mur, le mur, le mur ... La foule suspendue à l'impact, projeté le corps, hémisphère en l'air, retombé sur le pavé, fracassé avec le mur. Le corps, jumeau du soldat inconnu qui repose sous l'Arc, rougit le sol entre des arbres nus, hier encore, fraîchement verts à l'instant. La vie arrêtée sous le camion, le camion stoppé par la vie, privé de  sens à donner au fait divers, de direction aussi.

L'agitation de la foule, houle urbaine qui mate l'impact sur les Champs-Elysées de la nausée. Effets disparates et brouhaha, couverts par une sirène d'ambulance, oubliée aussitôt par les pas des passants et les journaux passe-temps. Le 23 avril 1996.